Début des années quatre-vingt-dix. Nathan fait la connaissance de Sean, militant radical de l’association Act’Up qui lutte en faveur de la prévention du Sida. Sa vie bascule…

Les années quatre-vingt-dix, c’était hier et à l’époque l’attente de demain, un jour qui ne viendrait peut-être jamais pour les malades du sida et autres séropositifs. C’était le temps du silence, de la mise au ban, de la grande hypocrisie. Durant cette période, quelques cinéastes jettent un pavé dans la mare… Jonathan Demme avec Philadelphia, Cyril Collard avec Les Nuits Fauves. Le virus possède un visage et le public se doit de le contempler pour mieux entrer dans le combat.

Cette lutte, Act’Up en a porté la croix pendant des années, endurant les supplices de l’opprobre populaire et de l’incompréhension des autorités. Robin Campillo nous parle alors de ce pan de l’Histoire, des petites anecdotes dans le grand récit, lui qui a fait partie de l’association et qui a connu victoires et déboires dans la bataille du siècle. Avec 120 battements par minute, il devient l’héritier de Demme et Collard, mais dans une volonté de se souvenir et non pas d’avertir.

Vivre et laisser mourir

Un unique objectif, celui du devoir de se remémorer, ne pas oublier ceux qui sont tombés et ceux qui sont montés au front face à l’ennemi de la marginalisation. Et pour mener à bien ce processus, il nous expose ce moment si particulier où le militantisme se épousait la vie quotidienne, ses joies, ses peines, ses idylles et nous rappelle que la mort venait frapper trop souvent les acteurs. 120 battements par minute s’articule autour de deux histoires qui fusionnent en une seule œuvre qui interpelle, questionne, met mal à l’aise, bouleverse.

Beaucoup, s’attarderont sur la première, celle de la romance tragique entre Nathan et Sean. Ce dernier mêle ses sentiments à l’énergie du désespoir, car il ne connaît que trop bien l’issue fatidique qui l’attend. L’intensité, l’urgence deviennent les leitmotivs. La nuance n’existe plus dans cette guerre que l’on ne peut pas gagner, et on se prend à admirer ses facettes désagréables son manque de compromis voire sa cruauté. D’autant plus, qu’il s’est fait porte-parole des marginaux au sein même des malades, c’est-à-dire les prisonniers, les toxicomanes, les prostituées. A ce moment-là, l’intensité du désir des Nuits Fauves rejoint la violence politique de Demme, comme si l’amour était la seule réponse à la mise à l’écart des condamnés.

Dernier bastion

Pourtant, ce n’est pas cet itinéraire sentimental tortueux qui fait la force du long métrage de Robin Campillo. Non, la véritable énergie se diffuse dans les débats interminables de l’association encore plus que durant ses actions à l’extérieur. Les vives tensions dans l’amphithéâtre prennent corps à travers les mots justes prononcés par les participants. De fait, paradoxalement on s’attache d’autant plus à Sean dans ces instants que pendant les scènes qu’il partage avec Nathan. Chaque protagoniste se met à nu, critique   l’engagement relatif des uns et des autres et s’interroge, avec au bout de ce cheminement, qu’il vivra peut-être un peu plus longtemps. À la fin, quand l’individu et le collectif se confondent, cela ne se déroule jamais sans heurts ni trahisons

On oublie ce capharnaüm quand frappe la grande faucheuse et on tourne dès lors la page. Néanmoins le livre peut s’écourter précipitamment tandis que le compte à rebours s’égrène au fil des battements du cœur. Il est regrettable cependant que le didactisme vivant de Campillo se désiste au profit d’une poésie certes bienvenue, mais d’une terrible maladresse, puiqu’elle n’émeut jamais vraiment. Non, la véritable force de l’auteur réside dans la crudité même de son style, capable de retourner le spectateur en exposant les convictions de ses interprètes pendant des discussions nimbées d’une aura d’authenticité, puisque puisées dans les souvenirs. Un réalisme qui s’estompe à chaque festivité ou quand l’effervescence se suspend lors d’une danse et que la maladie n’a plus sa place l’espace fugace d’un instant.

Si certains resteront de marbre face à un mélodrame assez convenu, ils ne pourront en revanche nier la maîtrise narrative du cinéaste quand il s’attaque aussi bien aux finalités du combat qu’à la ténacité de ceux qui le mènent. À ce moment, il oublie toute condescendance pour montrer à l’écran, la fureur de vivre et la rage de vaincre d’une génération brisée par une tragédie intemporelle.

Film français de Robin Campillo avec Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel. Durée 2h20. Sortie le 23 août 2017

François Verstraete

 

Share this content: