Jeune entrepreneur birman, Shin-Hong souffre d’insomnie chronique. Pour y remédier, il consulte un diseur de bonne aventure. Celui-ci lui explique qu’il doit acheter quatorze pommes, puis vivre quatorze jours dans un monastère pour recouvrer la santé. Il s’exécute et va se reclure pendant cette période, se nourrissant d’une pomme au quotidien.

Il y a un an, le réalisateur Barbet Schroeder accouchait du documentaire Le Vénérable W. et affichait à la face du monde une autre image du bouddhisme, bien moins sage qu’il n’y paraît, enclin à la violence et à la haine. Et aujourd’hui, c’est Midi Z, cinéaste d’origine birmane, qui dresse un portrait bien moins lisse du courant religieux, à l’instar de celui dessiné par Barbet Schroeder. Dans une contrée où la junte militaire a laissé des traces et où la démocratie n’est pas encore bien ancrée, il fait figure si ce n’est d’opium du peuple, au moins de référence sociale pour une majeure partie de la population, extrêmement pauvre.

La base du documentaire, qui peut paraître étrange pour des non-initiés, dénonce de manière sous-jacente, le poids de la superstition dans le pays, à même d’influencer un jeune homme plutôt aisé comme Shin-Hong. L’ouverture pendant laquelle il se procure des pommes au marché est d’ailleurs significative, le fruit est en effet synonyme de richesse, un luxe que peu peuvent s’offrir. Il y a dans cette quête de spiritualité comme une odeur de soufre. Ici, l’argent peut tout acheter et se place bien au-delà des valeurs édictées par la religion.

Tout le film ne devient alors que procession ; aller au monastère en s’extirpant de la mélasse à l’aide d’enfants qu’il paie en gâteaux, voir des femmes puiser et porter l’eau du puits ou encore se mettre en quête d’aumônes. La narration est découpée par les passages des uns et des autres mais également à chaque pomme consommée tel un jour qui s’achève dans un univers relativement austère.

 

L’illusion du bonheur

Relatif toujours, car ici à l’image d’un protagoniste qui acquiert en quelque sorte son salut, les moines sont plus fascinés par les biens matériels et troquent leurs services contre de l’argent. D’ailleurs, ils évoluent dans de bien meilleures conditions de vie que le reste de la population en Birmanie, jouissant des dons des fidèles. La scène quasi surréaliste durant laquelle ils discutent de l’intérêt de se rendre aux fêtes populaires si l’aumône ne coule pas à flot peut prêter à sourire… ou au dégoût. Elle rappelle surtout les sombres heures du Moyen Âge occidental où l’Église était frappée par la simonie, quand les ministres de l’ordre monnayaient ses pratiques.

Mais la force du documentaire de Midi Z réside dans sa démonstration percutante ; il expose sans tabou la crédulité d’une population souvent non éduquée, encline à croire à l’impossible et à suivre des préceptes infondés. Pas seulement concernant la religion, mais aussi sur des espoirs de lendemains meilleurs vers d’autres lieux où l’herbe n’est pas forcément plus verte. La scène où l’un des moines discute avec deux jeunes femmes sur un éventuel départ en Chine, dans l’optique d’y travailler témoigne de cette velléité de se tourner vers des mirages quand l’ignorance prend le pas sur la vérité.

Avec 14 Pommes, Midi Z lève le voile pudique qui recouvre les méthodes fallacieuses dictées par le Bouddhisme en Birmanie. Loin d’illuminer la route des habitants comme beaucoup l’imaginent à l’étranger, mais cloisonnant le quotidien avec au bout une lueur d’espoir, il se mue en parangon d’un pays au sein duquel l’émancipation n’est que chimère. De fait, ce film, sans fards ni préjugés, éclaire sur une conception de l’existence, qui pour certains enchaînent les hommes et pour d’autres la régule. 

Documentaire taiwanais et birman de Midi Z. Sortie le 16 mai 2018. Durée 1 h 24

François Verstraete

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