Première Guerre mondiale. Schofield et Blake, deux jeunes fantassins comme les autres, se voient assigner une mission à haut risque. Délivrer seuls, derrière les lignes ennemies, un message vital, à même de sauver plus de mille six cents soldats prêts à se jeter dans la gueule du loup, dont le propre frère de Blake…

L’absurde se dissimule dans chaque recoin de 1917, tout comme dans le style de Sam Mendes, ainsi que dans le cinéma d’auteur contemporain, que ce soit à Hollywood ou ailleurs… se pencher sur 1917 offre plus que jamais l’opportunité de relier intimement les côtés superfétatoires d’un long-métrage, d’un réalisateur et d’une partie d’une industrie, qui masquent malgré eux les véritables trésors camouflés derrière une vaste machine aux rouages superflus.

Le septième art n’est point fécond en œuvres retraçant la Grande Guerre, au contraire de la Seconde Guerre mondiale, de la Guerre du Viêt-nam voire des conflits récents en Irak ou en Afghanistan. Malgré cette réticence, deux figures majeures se sont distinguées dans cet exercice ; il y a bien sûr Stanley Kubrick et son pamphlet sulfureux Les Sentiers de la gloire et il faut souligner également le film épique d’Howard Hawks, plus méconnu d’un large public, Les Chemins de la gloire.

Pourtant, au moment d’aborder le sujet qui nous préoccupe, employer le terme absurde paraît approprié, puisqu’il qualifie le mieux le premier conflit mondial, du moins dans son déroulement. Situation rendue inéluctable par le jeu des alliances, La Première Guerre mondiale devient aussi bien la première opposition internationale à échelle industrielle de l’Histoire que l’un des derniers affrontements, nourri aux simples velléités impérialistes, dépourvus de l’idéologie qui sera l’apanage de ceux qui s’ensuivront.

Or, en dépit des moyens colossaux déployés pendant les batailles, la majorité des combats incarnera le caractère entropique d’une guerre durant laquelle les fameuses tranchées symboliseront la frustration, l’enlisement, et surtout le désespoir. Et qui de mieux placé aujourd’hui pour retranscrire ces moments, avec ses qualités et ses défauts que Sam Mendes, honnête artisan, dont l’approche se confond avec l’absurde, d’American Beauty à Spectre en passant par Jarhead, qui fut d’ailleurs son premier essai sur le genre, film désabusé consacré à la première Guerre du Golfe.

Un projet insensé

Absurde, c’est bien le maître mot à même de qualifier ce 1917, aussi bien sur la forme que sur le fond, au moins de prime abord. En effet, la volonté de tourner le long-métrage entièrement en « faux » plan-séquence à l’image de Birdman, relève plus de la poudre aux yeux ostentatoire, celle qui pollue le cinéma d’auteur ces dernières années. Le propre d’une bonne mise en scène est d’être invisible et non illustrative. Mais le formatage artistique initié au préalable par Martin Scorsese et perpétué avec perte et fracas par Innaritu, Tarantino et dans une certaine mesure Cuaron plaît aussi bien aux critiques qu’au tout Hollywood (cf. le triomphe récent de Joker).

Mais cette démarche est récompensée par des titres honorifiques à l’arrivée et cette opération séduction de Mendes pourrait bien être couronnée de succès… Un air de revanche pour celui qualifié d’imitateur pendant des années malgré des élans prometteurs, aperçus dans la conclusion de Skyfall ou avec le plan-séquence d’ouverture de Spectre. Dans tous les cas, l’absurdité du monde est bel et bien l’une des préoccupations majeures du metteur en scène au risque d’en faire parfois trop dans sa démonstration. Si la bataille des tranchées personnifie à elle seule l’aberration totale de cette guerre en général, alors la représentation de ce conflit par Mendès, synopsis à l’appui, paraît plus authentique, quitte à surligner l’ensemble.

Ici, la mission n’a plus rien d’héroïque, elle va à rebours même du bon sens comme les deux protagonistes empruntant le chemin inverse de leurs camarades, multipliant les heurts, entraînant insultes et remontrances. La quête tient plus du suicide tragique que de l’exploit individuel, les actes des uns et des autres accentuant cette impression. Sauver un ennemi n’apporte point la gratitude espérée en retour et ces courses poursuites relèvent du burlesque. Quant aux décisions et aux paroles du colonel, elles dénotent et résument toute l’ambivalence d’un combat figé et vain.

mais parfois percutant 

S’intéresser à 1917, c’est aussi outrepasser ces artifices et obsessions pour y déceler les quelques subtilités visuelles et thématiques enfouies çà et là. Le dispositif formel fait souvent oublier l’essentiel. Entre ambiance post apocalyptique et western (tiens comme pour Skyfall), 1917 dépareille fortement avec les codes traditionnels du genre. La traversée des no man’s land, l’ennemi régulièrement invisible, les situations tragicomiques (un rat active un piège à la dernière seconde, on s’attaque aux fantassins en étant désarmé) transcendent le propos de Sam Mendes tandis que le plan-séquence d’ensemble grandiloquent le dessert.

En outre, l’aspect crasseux, poisseux brise toute image romantique d’une guerre où les combattants partaient à l’assaut la fleur au fusil et quittaient joyeusement les leurs en 1914 à la recherche d’une gloire idyllique. On est ici décoré d’une médaille puis on la tronque contre de l’argent. À l’instar de bon de nombre de héros chers à Mendes, de Kevin Spacey à Daniel Craig, Mac Kay/Schofield est un personnage autodestructeur, en quête d’un second souffle. Lorsqu’il évoque son incapacité à rentrer chez lui, il rappelle Benoît Magimel dans l’Ennemi intime de Florent Emilio Siri. Au final, comme toujours avec Mendes, réussir c’est survivre et surtout trouver une raison de vivre…

 À l’arrivée, 1917, incarne le film monstre ; trop ambitieux, trop prétentieux, courageux également, maladroit et touchant. Mendes s’agite mais sa bonne volonté se marie avec son égo. Mais passé ses côtés outranciers qui pullulent dans bon nombre d’œuvres aujourd’hui (jusqu’à la nausée ?), 1917 surprend durant les moments les plus inattendus. La magie opère alors, certes, par intermittences…

Film américain de Sam Mendes avec George MacKay, Dean-Charles Chapman, Mark Strong. Durée 1h59. Sortie 15 janvier 2020.

François Verstraete

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