Futur proche. Astronaute chevronné, Roy Mac Bride n’a pas revu son père, également scientifique et astronaute, depuis des années. Il va devoir partir à sa recherche aux confins du système solaire à la fois pour percer un sombre mystère et sauver le monde.
Hanté par le souvenir d’une femme qu’il a aimé jadis, un homme gravit sans peur les échelons d’un gigantesque édifice s’élevant au-dessus de l’atmosphère. Un incident déclenche alors une réaction en chaîne catastrophique et il se voit projeté dans le vide, ramené par la pesanteur à des considérations bien terrestres, le spectre d’une mort certaine sur l’instant ou à venir se rapprochant inexorablement. Le rêve d’Icare repris par Roy McBride s’évanouit l’espace de quelques minutes, le temps d’une chute vertigineuse qui ressemble à une éternité.
James Gray s’est toujours dit fasciné par l’ouvrage Au cœur des ténèbres de Robert Conrad, par Apocalypse Now, son pendant cinématographique, mais aussi par le 2001 de Stanley Kubrick. Après une certaine relecture d’Apocalypse Now justement avec The Lost City of Z, l’un des véritables chefs-d’œuvre de cette décennie, Gray poursuit sa recherche formelle ambitieuse oscillant entre l’iconographie néoclassique d’un Clint Eastwood et les élans baroques du Nouvel Hollywood. Une chose est sûre cependant, peu importe le genre abordé, film noir, mélo, aventure ou ici science-fiction, rien ne détourne le réalisateur des enjeux essentiels à ses yeux, à savoir les relations entre ses protagonistes et leur univers familial devenu carcan dont ils peinent à s’extirper. Ainsi, quel que soit le style adopté, le principe dramatique l’emporte toujours chez Gray.
À l’annonce du projet Ad Astra, beaucoup supputaient un trip métaphysique de la part de James Gray qui succéderait aux travaux de Kubrick bien sûr, mais également de Tarkovski, et plus récemment de Nolan ou Cuaron. Néanmoins, si le metteur en scène s’inspire bel et bien comme pressenti de 2001 ou d’Apocalypse Now, pourtant, il ramène très vite, caméra à l’appui, le long-métrage au cœur des préoccupations de sa filmographie. Certes, à l’image de l’œuvre de Coppola, la narration est bercée par la voix off (d’ailleurs pas toujours judicieuse) d’un Brad Pitt, héritier ici de Martin Sheen, expliquant les raisons de son voyage aux confins des abysses, ou encore son admiration puis sa haine envers l’objet de sa quête.

Quelque part dans le cosmos
Il existe comme dans Apocalypse Now, cette propension propre à chaque individu, à créer les démons qui détruisent tout ce qu’il approche : que ce soit la folie de Mc Bride, les pirates qui profitent de l’appareil libéral qui salit les frontières de l’espace ou l’attaque glaçante de singes soumis aux mêmes atrocités subies sur terre. Par petite touche, Gray égratigne une vaste machine, mais surtout une forme de vie, la nôtre qui souille constamment son écosystème. Cette façade ne masque pas les véritables intentions de Gray à savoir traiter bien entendu des rapports conflictuels familiaux, mais aussi de l’obsession ou des ravages écologiques engendrés par notre civilisation.
Les péchés du père ou encore les défaillances des proches sont une récurrence chez Gray. Si Ad Astra appuie un peu trop là où cela fait mal et nonobstant, se prive de la finesse entrevue dans The yards ou La nuit nous appartient, il accouche en revanche d’une conclusion définitive à ce complexe d’Œdipe, même si tuer le géniteur s’accorde maladroitement avec sauver le monde. Ad Astra trouve alors ses limites dans la thématique récurrente qui portait admirablement le reste de la filmographie de Gray.

L’aventure intérieure
En revanche, le réalisateur s’extirpe de l’entropie quand il replace l’humain au centre de son environnement et use du procédé inverse en vigueur chez Kubrick. L’immensité spatiale n’engloutit pas ici le protagoniste, point de quête existentielle, plutôt la prise de pouvoir d’un être face à ce qu’il entoure. En lieu et place de filmer l’Espace, Gray s’évertue à resserrer l’objectif sur ses acteurs, se polarise sur les souffles ou sons émis par les radios implantées dans les casques et fait d’Ad Astra, une œuvre sur l’, non plus dans une notion de grandeur présente ou absente, mais plutôt de rapport à l’essentiel, aux petits rouages qui équilibrent et façonnent une vie.
Dans cette optique Gray se concentre sur l’obsession qui ronge à chaque fois ses personnages. Soif du pouvoir, de la reconnaissance, de l’amour ou bien encore d’une cité perdue et ici d’une autre forme de vie, il existe dans l’art de James Gray une quête quasi infantile de l’inaccessible pour des protagonistes qui possèdent tout à l’origine. Si étancher cette avidité relève très souvent du principe autodestructeur, la prise de conscience finale leur dévoilera que ce dont ils ont besoin était déjà présent dès le départ. Si McBride veut s’accomplir, ce sera en tant qu’homme, et en cherchant une émotion tel le public au cinéma qu’il réussira.

Film brillant sans égaler son prédécesseur (The Lost City of Z), Ad Astra n’envoie pas le spectateur dans les étoiles comme Roy McBride, ne l’emportera non pas dans une quête métaphysique kubrickienne, mais plutôt dans un voyage intérieur, parcours psychanalytique tantôt touchant, parfois maladroit, mais ô combien passionnant ! Délaissant l’esbroufe, Gray raconte l’histoire initiatique d’un homme qui rêve de devenir humain.
Film américain de James Gray avec Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Liv Tyler, Ruth Negga. Durée 2h04. Sortie le 18 septembre 2019.
François Verstraete
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