Il y a près de quinze ans, le Marvel Cinematic Universe entamait sa conquête d’Hollywood, érigeant au passage Robert Downey Jr/Iron Man en tête de gondole d’un projet complètement fou. Grâce au travail notamment de Joss Whedon, la franchise a réussi à transposer à l’écran de manière crédible les exploits des demi-dieux et autres surhommes issus de la bande-dessinée. Par la suite, sous la houlette de Kevin Feige, le MCU prit son envol, concocta une formule gagnante pour le meilleur et pour le pire et décrocha les cimes du box-office avec Avengers : Endgame.

Cependant, en dépit de son triomphe en salles, le MCU a vu sa recette se gripper progressivement. La licence, piégée par ses standards, peine à se renouveler et beaucoup doutent désormais de la capacité de Kevin Feige à redresser la barre d’un point de vue artistique. La phase 4 qui s’est achevée avec Black Panther : Wakanda Forever est loin d’avoir tenu ses promesses malgré les éclaircies signées Chloé Zhao (Les Éternels) et Sam Raimi (Doctor Strange and The Multiverse of Madness).

 Voilà pourquoi les observateurs attendaient au tournant Ant-Man et la Guêpe : Quantumania puisque le long-métrage de Peyton Reed avait la lourde tâche d’ouvrir la phase 5 du MCU. Et si les deux premiers opus consacrés aux aventures de Scott Lang n’avaient en rien révolutionné le genre, ils s’étaient au moins montrés efficaces. On espérait donc que ce dernier volet ferait preuve des mêmes qualités à défaut d’une remise en question salutaire. Malheureusement, on comprend très vite, ce dès les premières minutes d’Ant-Man et la Guêpe : Quantumania que rien n’y fait et que la magie qui animait jadis le MCU s’est sans doute envolée.

Enjeux majuscules pour mise en scène minuscule

On connaît depuis un moment le cahier des charges imposé par Kevin Feige, ces fameuses normes qui étouffent les différents cinéastes qui officient pour la franchise. Or, si elles avaient le mérite à l’origine d’insuffler une certaine unité à l’ensemble, elles nuisent désormais à l’équilibre de chaque long-métrage. Pourtant, les principes de base se sont avérés convaincants au départ ; mélanger le genre super-héroïque à un autre plus traditionnel (espionnage, science-fiction, film de monstre, péplum), désamorcer la tension dramatique par l’humour et surtout proposer un spectacle censé supplanter les anciennes références de la culture populaire.

Mais aujourd’hui la méthode n’a pas uniquement commencé à lasser une majorité du public, y compris les fans de la première heure, elle a aussi échoué dans sa tentative d’injecter un ton plus sérieux comme en attestent les essais récents de Thor : Love and Thunder et Black Panther : Wakanda Forever. Et Ant-Man et la Guêpe : Quantumania ne fait que corroborer amèrement cette constatation. Jusqu’à présent, la saga Ant-Man reposait sur les ingrédients typiques qui faisaient la force du MCU. Le film de casse, l’aventure intérieure et la comédie familiale bonne enfant rejoignaient le récit dédié au minuscule super-héros. Certes, le résultat n’a jamais dépassé les limites du produit formaté, mais il n’était jamais désagréable à regarder, car Peyton Reed n’avait point besoin de se sublimer, faute d’enjeux trop grands pour lui.

Le côté obscur de la force

Hélas, Ant-Man et la Guêpe : Quantumania est venu remettre en question ses précédents travaux. En effet, ouverture de la phase 5 oblige, le réalisateur doit établir le socle de l’avenir du MCU, quitte à endosser un costume absolument pas taillé pour lui. Alors qu’ Ant-Man et Ant-Man et la Guêpe s’attachaient à raconter certes parfois maladroitement, les péripéties de deux familles disloquées par de mauvaises décisions, Ant-Man et la Guêpe : Quantumania doit se concentrer sur l’avènement d’un adversaire omnipotent et sur la description d’un univers gigantesque niché au cœur d’un monde invisible à l’œil nu. Conséquence immédiate, Peyton Reed, obnubilé par sa tâche, oublie ses fondamentaux. En lieu et place d’enrichir les relations entre Scott et Cassie ou de s’attarder sur les atermoiements de Janet Van Dyne, le metteur en scène s’attèle à présenter un Star Wars du pauvre encore pire que Star Wars : L’Ascension de Skywalker.

Car oui, Ant-Man et la Guêpe : Quantumania a bel et bien puisé son inspiration dans les visuels imaginés jadis par George Lucas. Le long-métrage nous immerge aussi bien dans un décorum digne de la célèbre Cantina de Tatooine ou nous plonge dans un affrontement dantesque dans l’esprit de L’Attaque des Clones. Sans succès, tant la direction manque cruellement de personnalité et de savoir-faire durant ces moments. Toutefois les idées foisonnent, mais elles ne font jamais mouche. Oui, dissimuler un vaste royaume technologique dans un univers à l’échelle subatomique avait de quoi séduire, cependant le procédé empêtré dans sa démonstration technique ne convainc pas en raison de son absence totale d’inventivité. Ce malgré la prestation Jonathan Majors qui revêt pour l’occasion l’habit du vilain ultime.

Lost in space

Introduit dans la série Loki, Kang le Conquérant incarné par Jonathan Majors est présenté comme l’ennemi majeur de cette phase 5 et succède ainsi à Thanos. Et le comédien prendre la suite de Josh Brolin avec élégance, dans cette entreprise (ce dernier avait délivré une performance assez concluante dans Infinity War) tant il interprète le voyageur temporel avec conviction. Le choix de l’acteur se révèle donc judicieux, contrairement à celui de l’adversaire en lui-même.

En sélectionnant le protagoniste cher aux Avengers et aux Fantastic Four dans le comic book, Kevin et ses scénaristes ont fait preuve d’une certaine maladresse tant il paraît impossible de concevoir la menace symbolisée par Kang (comment peut-elle s’avérer pire que les desseins de Thanos ?). En outre, sans entrer dans le détail des questions liées au matériau d’origine, il faut tout de même s’interroger sur l’évolution du MCU et sur le plan a priori flou de Kevin Feige.

Délesté de ses vedettes (Chris Evans, Scarlet Johansson et Robert Downey Jr ont quitté le navire) et donc ses personnages emblématiques, la licence peine à attirer avec ses nouveaux visages et a de surcroit abattu la carte Thanos sans doute trop tôt (contrairement au comic book à l’époque). On ignore comment elle va réussir à se régénérer et ce n’est pas avec Ant-Man et la Guêpe : Quantumania qu’elle y parviendra.

Car en répétant jusqu’à la nausée un numéro trop connu, le long-métrage de Peyton Reed ne nous surprend pas, ne nous réjouit pas, ne nous émeut pas, mais au contraire nous agace fortement. Cette phase 5 débute donc dans la douleur. Les bonnes intentions se sont évanouies avec le temps (cela ferait plaisir à Kang d’ailleurs), ne restent plus, pour l’instant, qu’un vague mirage, celui d’une franchise qui promettait tant.

Film américain de Peyton Reed avec Paul Rudd, Evangeline Lilly, Jonathan Majors, Michael Douglas. Durée 2h04. Sortie le 15 février 2023.

François Verstraete

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