Ève, alors enfant, assiste impuissante au meurtre de son père. Recueillie par une organisation criminelle, elle devient l’un de leurs assassins d’élite. Néanmoins, en dépit de sa loyauté, elle ne va pas tarder à assouvir son désir de vengeance…
En quelques années, la franchise John Wick s’est taillée une belle réputation auprès d’un public friand d’action décérébrée, tout en amassant des sommes coquettes au box-office mondial. Ce succès indéniable, lié à la figure de son comédien phare Keanu Reeves, démontre toutefois que ce même public ainsi qu’une partie des critiques placent le curseur qualitatif bien bas. À force de tirer sur l’ambulance, à savoir le super-héros américain, beaucoup ont tendance à saluer des performances bien médiocres quand ils traitent de film de genre et c’est fort triste.

Il s’avère évident que John Wick n’aurait jamais rencontré de telles louanges il y a trente ans et il serait temps d’ouvrir les yeux : cette licence ne se pose qu’en pâle imitation de ce que l’industrie de Hong Kong a offert, du milieu des années quatre-vingt à l’aune des années quatre-vingt-dix. Fort heureusement pour elle, le débat n’est pas encore à l’ordre du jour et les producteurs de la saga aux recettes juteuses, se doivent de traire la vache sacrée jusqu’au dernier dollar. Voilà pourquoi une série dérivée de cet univers a débarqué récemment sur Amazon Prime video (The Continental) et qu’un spin off sort sur grand écran, consacré à un nouveau personnage incarné par Ana de Armas.
L’actrice a conquis Hollywood aussi bien pour ses rôles musclés dans James Bond que pour des prestations dans des titres plus intimistes tel Blonde (le biopic sulfureux dédié à Marylin Monroe). Ici, l’occasion est trop belle pour le studio aux commandes, puisqu’en s’attachant les services d’une des interprètes les plus populaires du moment, il peut proposer une alternative crédible au protagoniste phare originel. Une manière comme une autre de rajeunir la franchise, tout en respectant une formule soi-disant miracle…

Y a t-il un scénariste à bord ?
Par conséquent, on espérait un sursaut de la part de Lionsgate au moment de désigner le cinéaste qui sera aux commandes et n’importe quel tâcheron se débrouillerait mieux que Chad Stahelski… excepté Len Wiseman. Certes on comprend rapidement pourquoi il a été choisi, son expérience sur Underworld parle pour lui ou plutôt sa capacité à valoriser une présence féminine forte (Kate Beckinsale à l’époque), par tous les moyens, même les plus saugrenus. Hélas, on retient surtout son manque flagrant de talent et sa propension à exagérer plus que de raison les exploits de ses protagonistes, quitte à les ridiculiser (ah le numéro d’équilibriste de Bruce Willis dans Die Hard 4).
Cependant, pour l’heure, les carences du long-métrage ne proviennent pas uniquement de sa mise en scène convenue. Le scénario relève d’une indigence crasse, tant le récit est truffé d’incohérences et est clairsemé de trous béants. D’ailleurs, les auteurs devront remercier Gareth Evans et son équipe, tant Ballerina emprunte au script du Bon apôtre, surtout durant sa dernière partie, lors de la confrontation entre Ana de Armas et les membres de la secte. Cette absence de profondeur est censée se dissimuler derrière le nuage de fumée du fan service.

Bien entendu, le film cède à ses sirènes avec de multiples apparitions de visages appréciés des admirateurs de John Wick, à commencer par celle de Keanu Reeves, dont l’ombre hante bien trop celle d’Ève, qui peine de fait à s’émanciper (le but à la base). Ana de Armas a beau se démener et déjouer, elle ne parvient jamais à s’imposer, la faute à une caractérisation de son personnage trop sommaire. Disposer d’une galerie de gueules charismatiques ne suffit pas à les rendre aimables, encore doivent-elles être pourvues d’un semblant de psychologie… une démarche adoptée par John Woo, Ringo Lam ou Gareth Evans (dans The Raid 2), mais en aucun cas par Chad Stahelski ou Len Wiseman.
Quelques éclaircies et le néant
Pour Len Wiseman, seul importe les empoignades entre son héroïne et ses adversaires tenaces, qu’elle surpasse grâce à une certaine forme de malice féminine (définie de façon racoleuse pendant son initiation). Et si les coups portés avec férocité se joignent avec une cruauté presque jubilatoire, c’est pour mieux masquer le manque d’imagination du réalisateur au niveau des chorégraphies ou des situations de combat… sauf lors de trois courtes séquences durant lesquelles il s’efforce de créer quelque chose. Duel avec des assiettes ou lance-flammes à la main, exécuter des assaillants avec des grenades, voici quelques éclairs d’inventivité qui extirpent le spectateur de sa torpeur.

Ces instants précieux, fugaces soulignent l’ampleur du désastre en cours, tant il n’y a rien à sauver du reste du long-métrage. Conventionnel dans sa forme, Ballerina appartient à cette lignée de films avec pour protagoniste un tueur (ou une tueuse ici) invincible ou presque, qui lorgne vainement du côté de The Killer de John Woo. Inapte à s’approprier l’essence du chef-d’œuvre hongkongais, Ballerina (et l’ensemble de la saga John Wick) imite avec des artifices superfétatoires, en ignorant tous les fondements du septième art.
Impossible de cautionner davantage pareille supercherie, sous prétexte que le divertissement prévaut sur tous les écueils énumérés. En effet, vous ne trouverez qu’une jouissance éphémère et peu satisfaisante, résultant des standards conformes au niveau d’exigence actuel… c’est-à-dire très peu élevé.
Film américain de Len Wiseman Ana De Armas, Anjelica Huston, Norman Reedus, Keanu Reeves. Durée 2h05. Sortie le 4 juin 2025.
François Verstraete
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