Durant un exercice d’entraînement, plusieurs militaires disparaissent au Panama. Deux rescapés sont par conséquent interrogés par le lieutenant Osborne, ce sans succès. Le commandant de la base fait alors appel à Tom Hardy, ancien compagnon d’armes et enquêteur suspendu pour le compte de la DEA., afin d’épauler Osborne. Une coopération qui porte rapidement ses fruits, peut-être trop. Les deux investigateurs sont très loin d’imaginer l’incroyable vérité…

Lorsqu’il entame le tournage de Basic, John McTiernan vient juste d’essuyer deux sérieux revers, à la fois en salles et en termes critiques, l’un pour son ambitieux Le 13ème Guerrier, l’autre pour le remake de Rollerball. Deux longs-métrages à la gestation douloureuse, qui auront, par la suite, une énorme incidence sur sa carrière, entre scandales pour des écoutes téléphoniques et une condamnation à une année de prison. Quoi qu’il en soit, bien avant son incarcération, le doute plane sur l’avenir du réalisateur qui révolutionna le cinéma d’action dans les années quatre-vingt, avec Predator et Piège de Cristal.

Inspection générale

Voilà pourquoi il décide de revenir aux sources de son art, en ancrant son récit en territoire hostile et en collaborant avec un trio d’interprètes de choc : John Travolta, Samuel L. Jackson, Connie Nielsen. Il s’offrit les services du scénariste James Vanderbilt, capable du meilleur (Spiderman de Sam Raimi, Zodiac de David Fincher) ou du pire (White House Down, Independance Day : Resurgence). En s’appuyant sur cette équipe chevronnée, John McTiernan espérait renouer avec le succès. Peine perdue, puisque Basic subit un terrible échec au box-office… mais entra dans le cercle des films cultes !

En utilisant l’effet Rashomon cher à Akira Kurosawa pour dicter sa narration, McTiernan navigua en eaux troubles. Pourtant, il en ressortit grandi, tant il parvint à s’approprier ce concept si risqué ; si d’autres s’étaient essayés à cet exercice en usant de procédés racoleurs (à commencer par Bryan Singer et son Usual Suspects), le metteur en scène de Predator va quant à lui respecter l’esprit de Kurosawa, comme peu l’ont fait ou le feront avant ou après lui ! Et le choix d’un lieu apocalyptique y a considérablement contribué.

Perplexité

Dans l’enfer de la jungle

En 2001, John Boorman adaptait le roman éponyme de John Le Carré, Tailor of Panama, dont l’intrigue décrivait en partie, la situation géopolitique délicate vécue par cette partie du monde, envahie par les États-Unis dans les années quatre-vingt-dix. Le but de la superpuissance, destituer le dictateur omnipotent Noriega et instaurer, sous le couvert made in America, une ère nouvelle pour le pays. Voilà pourquoi on pouvait être surpris (ou fasciné) par la décision de John McTiernan de se servir de ce décor singulier pour Basic… avec à la clé, le fameux Canal de Panama, source de convoitise et éternel outil de survie, ce que ne manque pas de rappeler en voix off Connie Nielsen durant l’introduction.

Le réalisateur a toujours aimé déstabiliser ses protagonistes et les extirper de gré ou de force de leur zone de confort, en les plaçant dans des lieux dont ils ne peuvent réchapper ; un gratte-ciel assailli par une bande de criminels, une enceinte sportive où tous les coups sont permis, un camp viking assiégé ou une jungle infestée par une créature venue d’ailleurs. Des endroits insolites, exploités à chaque fois brillamment par le cinéaste.

Demande de comptes

Et ici, il compte bien redéfinir le cadre de Predator, à savoir une jungle inhospitalière pour supplicier un groupe de soldats aguerris, mais non préparés à un jeu de massacre impromptu. Quant à Tom Hardy, bien qu’il ne fraie pas un chemin dans cet enfer envahi par les moustiques et les serpents, il devra toutefois se réconcilier avec son ancien foyer, qu’il avait quitté par la petite porte. Le metteur en scène tient à ce que personne ne soit à l’aise dans son environnement.

En outre, en sus d’avoir opté pour une unité spatiale déroutante, John McTiernan va choisir un moment calendaire très précis, la Toussaint et la fête des Morts, date chérie en Amérique latine et centrale, propice à toutes les extravagances, célébrant les spectres d’outre-tombe. Un symbole a priori anodin, mais qui revêtira toute son importance au fur et à mesure que certains éléments seront divulgués. Et puis il y a les conditions météorologiques, dantesques qui perturbent les sens, amoindrissent les mouvements et se posent comme le pire des adversaires. L’ouragan, qui fait rage, pourrait en bien effet occulter le bien le plus précieux, la vérité sur une affaire énigmatique.

À couteaux tirés

L’effet Rashomon

Le réalisateur déploie la fameuse mécanique chère à Akira Kurosawa, celle de l’effet Rashomon, ou comment travestir les faits qui se sont vraiment produits ; les personnages relatent leur version des événements à tour de rôle, avec à la clé, une finalité dramatique constante, mais des détails divergents sur le déroulement. Par conséquent, il s’avère impossible d’établir la culpabilité de l’un d’entre eux, seulement émettre des soupçons quitte à se méfier de la terre entière. Pourtant, comme le clame Tom Hardy, tuer est basique, il n’y a point de complot, juste une volonté vacillante et un instant où tout bascule dans l’horreur.

Cette vision crue, aride, rejoint quelque part celle d’un autre officier enquêtant sur un crime atroce, interprété lui aussi par John Travolta, dans Le Déshonneur d’Elizabeth Campbell. Et on croirait presque ce discours circonstancié, décrivant ces pulsions primaires à l’origine des maux… cependant, John McTiernan a activé une machine bien trop complexe, bien trop raffinée, pour que l’on se contente de cette explication réductrice. Au-delà des multiples schémas mystificateurs, se dissimulent quelques mots qui se répètent, se transformant à loisir pour tromper Hardy et Osborne.

Incompréhension

Égarés dans un dédale d’informations contraires, les partenaires de fortune doivent prêter attention à la moindre phrase, au moindre revirement pour comprendre et résoudre ce puzzle… tandis que le spectateur se concentrera plutôt sur les angles de caméra, les gros plans suggérant davantage qu’un fil conducteur artificiel, reposant sur le faux et des révélations fallacieuses. John McTiernan prouve qu’il a parfaitement assimilé la leçon de Kurosawa ; l’objectif n’est point de découvrir les tenants et les aboutissants de cette affaire, mais d’en appréhender les dessous malsains.

Sévices militaires

Dans Rashomon, peu importe de savoir qui a occis le samouraï ; quelle que soit la mouture du récit, un acte sordide demeure, une femme a été violée ! Et dans Basic, deux questions se dessinent, au-delà de la tuerie orchestrée ou non au cœur de la jungle. La première concerne les épreuves endurées, à la limite du supplice, par des individus au nom d’une formation destinée à les préparer au pire et au combat. John McTiernan renvoie à cette occasion, aux grandes heures de Full Metal Jacket et à l’expérience des classes.

Avant le carnage

En outre, il condamne un système archaïque qui oppresse quelques membres, au nom de leur couleur de peau, de leur orientation sexuelle, ou tout simplement de leur insoumission (à l’instar de Tom Hardy). Comme le fait remarquer Julie Osborne, tous ont eu foi dans la promesse d’une carrière couverte d’honneurs… à tort. Unique échappatoire à ce marasme, sortir des clous ou devenir hors-la-loi (les deux n’étant point incompatibles). Céder à la tentation s’avère inéluctable pour quelques victimes qui se transforment en rouages d’un vaste réseau criminel.

Les mots d’Osborne, prononcés au début du long-métrage, prennent alors toute leur signification. Le pays a toujours ouvert la voie à diverses activités peu licites, pour l’appât du gain. John McTiernan dresse un constat désolant, présentant une région du monde gangrénée par divers fléaux, bousculée par une tempête aussi violente que celle frappant la jungle au cours de l’opération de Samuel L. Jackson.

John McTiernan l’ignorait à l’époque, mais Basic serait son dernier long-métrage, prélude à une interminable traversée du désert, boudé par les studios et empêtré jusqu’au coup dans les ennuis judiciaires. Cela fait donc vingt ans que l’on attend patiemment un retour (à première vue imminent). Ce retour en grâce serait sans doute salvateur pour le cinéma de genre et on souhaite que ses prochains projets se hissent au niveau de Basic, l’un des rares films à assimiler et à retranscrire la leçon enseignée par Kurosawa, ce qui constitue un authentique exploit.

Film américain de John McTiernan avec John Travolta, Connie Nielsen, Samuel L. Jackson. Durée 1h34. 2003. Disponible en Blu-Ray chez ESC Éditions à partir du 20 août 2025.

François Verstraete

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