Si le septième art s’est enfoncé dans une entropie stylistique depuis de nombreuses années désormais, la faute en incombe au triomphe marketing des franchises (et pas seulement des super-héros) et à l’étiolement du cinéma dit d’auteur, causé par le recours quasi systématique d’une forme illustrative ostentatoire. De fait, pour prouver que la relève des grands artisans était arrivée, certains ont intronisé depuis quelque temps de nouvelles figures émergentes, qui ne méritent sans doute pas autant d’éloges.
On peut citer pêle-mêle certaines têtes d’affiche du cinéma de genre américain, à commencer par James Gunn, Jordan Peele (loin d’être l’héritier de John Carpenter) et… Ari Aster. Celui qui s’est octroyé les faveurs d’une partie de la critique et du public avec les surévalués Hérédité et Midsommar revient avec Beau is Afraid, un projet dans la continuité des ses courts-métrages, ambitieux, gargantuesque, mais hélas mètre étalon de tous les défauts que l’on peut reprocher justement à cette vague d’auteurs modernes. De belles intentions pour une démonstration grossière, faussement subtile et très en deçà des modèles d’antan.

L’odyssée de Beau
Dès les premières minutes, Ari Aster annonce la folle plongée à venir dans les méandres d’un esprit anxiogène avec une courte séquence d’accouchement douloureux suivie d’une séance de psychanalyse. Tout comme Cary Grant dans La Mort aux trousses, Beau va de voir se libérer des entraves d’une marâtre castratrice s’il veut recouvrer un semblant d’amour propre et d’autonomie… mais pas que. Car cet homme craintif au dernier degré va devoir braver de nombreux obstacles pour y parvenir. Dans le quartier où il réside règne une ambiance de fin du monde ! Et tandis que les cadavres s’empilent ou que les situations ubuesques s’enchaînent, l’horloge tourne…
On pense, qu’après la caractérisation fonctionnelle de son protagoniste (bien aidé par la performance toujours juste de Joaquin Phœnix), qu’Ari Aster a enfin délaissé les artifices qui alourdissaient ses deux premiers longs-métrages. La farce noire mâtinée d’horreur débute bien en effet en dépit de quelques traits trop démonstratifs durant ces quarante premières minutes, à l’image de cette réflexion pataude sur les violences policières. Cependant le démarrage s’avère efficace, on sourit et les promesses affichées par les influences revendiquées par le réalisateur (Johnny Guitare, Une question de vie ou de mort, Playtime) semblent se concrétiser dans ces premiers instants.
Malheureusement, à force de forcer son procédé sans aucune finesse alors qu’il prend le temps de préparer son déploiement, Ari Aster agace très vite. Comme dans ses précédents travaux, il se retrouve contraint à des raccourcis grossiers dans le but de faire avancer le scénario. Ceux qui détestent la propension des mauvais films d’horreur à étriper des protagonistes débiles (à l’opposé de ceux qui peuplent l’univers de Carpenter) ne seront pas rassurés par ceux décrits par le cinéaste. Beau n’est pas seulement angoissé, il fait preuve trop souvent d’une attitude stupide à l’excès afin de justifier l’atmosphère absurde de l’ensemble. Et lorsque l’on s’attarde sur cet écueil, on découvre toutes les failles d’une entreprise, certes louable, mais bancale. Beau prend son envol pour le meilleur et surtout pour le pire…

Persona labyrinthique
Car en engageant son héros dans un périple mental, le metteur en scène relève le défi remporté avant lui par Ingmar Bergman, David Lynch ou Satoshi Kon. Mais on constate rapidement que Beau is Afraid n’atteint jamais la perfection de ses aînés, Persona, Mulholand Drive et Perfect Blue, trop englué dans une approche systémique pétaradante censée masquer ses inhérentes faiblesses. Ainsi, très vite, trop vite, on assiste à un échec dans ce type d’entreprise digne de Father de Florian Zeller voire du pathétique Sucker Punch de Zack Snyder. Tandis que Bergman instillait le malaise par de simples dialogues dans une pièce nue ou Lynch saupoudrait son poème lyrique d’un soupçon d’épouvante, Ari Aster préfère l’incongruité afin d’ajouter un aspect jubilatoire à son œuvre.
Peine perdue puisqu’il se contente de quelques rires et d’effets sonores pompiers afin de rappeler que la réalité, dans toute sa crudité et sa laideur, n’est jamais très loin. Les moments insolites et insolents se succèdent et n’imprègnent la mémoire que par la présence de personnages qui frisent la caricature à trop vouloir chercher ce fameux critère absurde. Ari Aster en fait décidément trop avec la famille de ce chirurgien trop serviable pour être honnête, cette communauté d’artistes parias ou l’ex-petite amie de retour dans la vie de Beau.
Le réalisateur insiste avec force pour séparer le vrai du faux et mettre en exergue le fait qui le préoccupe ici, la relation toxique que Beau nourrit avec sa mère, dernière entrave à sa liberté d’homme. En introduisant cette préoccupation dès l’entretien préalable avec le thérapeute, Aster gaspille inutilement une cartouche puisqu’il déflore le mystère, le transformant en supercherie formelle. Ne subsistent plus alors que quelques obsessions thématiques pour sauver ce qui peut l’être.

Perfect blues
De fait, il faut évoquer en sus de la notion de relation toxique citée plus haut, les questions du deuil et de l’obscurantisme oppressant qui nuit à l’accomplissement individuel. Ici, Ari Aster tente de connecter le tout avec une certaine maladresse. Ainsi, les sœurs décédées dans d’atroces circonstances dans Hérédité et Midsommar laissent leur place désormais au spectre d’un père disparu au bon vouloir de sa compagne manipulatrice. Seule explication avancée quant au sort du géniteur de Beau, la malédiction génétique liée à l’acte sexuel, persistante dans sa famille.
Cette métaphore dénuée de la moindre finesse est censée nous en dévoiler un peu plus sur les intentions de la terrible marâtre et sur les entraves qui emprisonnent le protagoniste, la statuette de la Vierge toujours à la main… qu’il finira par transmettre à une femme enceinte abandonnée par son conjoint (une autre allégorie faussement forte et mal amenée par le réalisateur). On s’interroge à juste titre sur les prétendues qualités d’auteur d’Ari Aster, soi-disant esthète et maître du cadre précis, mais impuissant à dépasser ses propres limites.
Incapable de bâtir un dédale de la psyché convaincant comme ses illustres modèles, le cinéaste s’enlise dans un tourbillon d’événements à l’imagerie douteuse, répétant jusqu’à la nausée un numéro aux fondations fragiles. Malgré une grande prestation de la plupart de sa distribution, Beau is Afraid souffre d’un cruel manque d’équilibre en dépit de louables intentions.
Film américain d’Ari Aster avec Joaquin Phœnix, Patti LuPon, Amy Ryan. Durée 2h59. Sortie le 26 avril 2023.
François Verstraete
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