Trente ans après les événements survenus lors de Blade Runner, une génération de replicants modernes arrive sur le marché. Censés être plus dociles et dépourvus d’émotions, ils sont devenus les esclaves d’une société à peine rétablie d’un conflit dévastateur. Quand K, replicant et blade runner déniche un secret inimaginable, l’équilibre même du système est compromis et sa tête mise à prix.
D’une nouvelle mineure de Philip K Dick, Ridley Scott a engendré l’un des œuvres majeures du cinéma de science-fiction, mais également des années quatre-vingt. Porté aussi bien par une esthétique imprégnée des films noirs que des récits d’anticipation, et transcendé par la musique de Vangelis, Blade Runner jouit toujours d’un statut culte. Envisagée depuis des années, mais contestée d’abord par Dick lui-même puis par bon nombre de Cassandre, la suite tant souhaitée ne devait jamais naître.
Mais la vague nostalgique des eighties a clairement changé la donne et 2017 a déjà vu poindre une troisième saison inespérée de la mythique série Twin Peaks, avec la réussite que l’on connaît désormais. 2017 devait donc engendrer, trente-cinq ans après, un héritier à l’œuvre majeure de Ridley Scott. Le choix de Denis Villeneuve pour mettre en scène ce second opus pouvait ravir les uns et susciter les pires craintes pour les autres.
En effet, beaucoup reproche à ce cinéaste ambitieux et efficace, son manque d’emphase pour aborder les sujets traités. Pourtant c’est dénigrer un réalisateur très proche dans sa démarche, de Don Siegel ou de John Carpenter… c’est dire. Quant à l’interprète principal, l’option Ryan Gosling ne relève pas uniquement d’une question de popularité. L’acteur doit sa renommée au Drive de Refn, long-métrage qui puisait sa force visuelle urbaine dans… le Blade Runner de Ridley Scott.

Je pense donc je suis
La boucle se referme dès le départ et elle le demeure à l’arrivée. Dès le premier plan vertigineux de son Blade Runner 2049, Villeneuve étale déjà les enjeux de son dispositif ; une plongée vers les abysses dont on revient difficilement. Pourtant, si Blade Runner 2049 se réclame comme une extension du premier volet, Villeneuve ne va cesser de prendre à contrepied tous les fondements établis par Ridley Scott du moins sur les thématiques et amplifier en revanche à l’extrême la forme gracile et diaphane du précédent opus.
Au contraire de Ridley Scott, Villeneuve ne s’échine pas à dénaturer le genre en entremêlant habilement film noir et film de science-fiction. Il ne cherche pas non plus à exacerber les émotions de ses protagonistes par le lyrisme de la bande-son. Cette dernière si elle ne peut en aucun cas se comparer à celle de Vangelis n’a que pour fonction d’accentuer la froide atmosphère de l’ensemble où le réconfort n’existe plus, ni pour les hommes ni pour les machines. La seule douceur du contact devient virtuelle et le simple fait de vivre, une chimère.

Si les androïdes ne rêvent plus de moutons électriques, ils songent en revanche à un vague souvenir et une effigie en bois. Car plus que jamais, la question de l’âme, de la personnalité, de l’humanité fait débat dans le long-métrage de Villeneuve. Si l’interrogation se posait en arrière-plan dans le précédent volet, prétexte au chemin de croix de Deckard, elle s’affirme comme le véritable moteur de cette suite. Sauf que Villeneuve la prend habilement à rebrousse-poil : Deckard était-il un humain devenu machine et K est-il à présent une machine devenue humaine ? Il prolonge ainsi cette introspection entrevue dans le Ghost In The Shell de Mamoru Oshii.
Dernière sensation avant de périr
Comment changer alors que le racisme ordinaire fusionne avec l’absence de vie en métropole ? Le contraste entre les deux opus est sur ce point saisissant, quand le néo Los Angeles de Scott grouillait par sa surpopulation, Villeneuve, lui le vide de sa substance. Si le metteur en scène filme la mégalopole avec une poésie et une nostalgie identiques, il garde cependant toute sa puissance lyrique pour évoquer les grands espaces post apocalyptiques d’un état en perdition. Et dans ces moments d’infinie solitude, à l’instar des protagonistes de Sicario ou Premier Contact, K trouve enfin sa place dans le vaste projet du cinéaste.

Mais Blade Runner 2049 c’est surtout une histoire de barrière où toute la dimension sociopolitique sous-jacente chez Scott devient prépondérante pour Villeneuve. Les cloisons ne sont pas seulement là pour différencier riches et pauvres ou humains et machines. Non elles n’existent que pour mieux minimiser la part d’individualité de chacun, mais aussi pour atrophier les relations avec son environnement. Ce peut être un amour virtuel, la peau qui ne réagit ni aux insectes ou à la neige, ou bien le mur de verre épais qui sépare les proches. Et si la musique de Vangelis ne résonne plus dans ces frêles moments, on ne peut être qu’ému sur l’instant.
Bien que culte pour certains, le premier Blade Runner avait déconcerté par son refus du spectaculaire et sa narration lente et symbolique. Force est de constater que Villeneuve a d’autant plus accentué cette absence d’esbroufe et d’action trépidante. Il n’est pas sûr qu’à l’époque d’une audience férue de séries télévisées, sa magie touche un large public. Pourtant ce serait ignorer un voyage aux confins de l’âme, aussi bien repli sur soi qu’ouverture sur le monde, poème mélancolique d’une période révolue et à venir. Ce serait surtout refuser à Villeneuve le passage d’artisan chevronné à artiste accompli. Et bouder de fait le meilleur film d’anticipation depuis Ghost In The Shell Innocence.
Film américain de Denis Villeneuve avec Ryan Gosling, Jared Leto, Harrison Ford. Sortie le 4 octobre 2017. Durée 2h32
François Verstraete
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