Paris, futur proche. La ville est divisée désormais en quartiers séparant les différentes classes sociales, tandis qu’ALMA, une intelligence artificielle révolutionnaire, orchestre au quotidien le travail des forces de l’ordre. Or, alors que les tensions s’intensifient, le créateur d’ALMA est assassiné. Zem et Salia, deux enquêteurs opérant dans des zones distinctes, vont devoir faire équipe pour appréhender le meurtrier.
En l’espace de quelques années, Cédric Jimenez est devenu l’un des spécialistes du film d’action hexagonal et des polars rugueux. Le réalisateur n’hésite pas à traiter de sujets ambigus, quitte à diviser. Quoi qu’il en soit, il maîtrise ses séquences d’adrénaline avec suffisamment de maturité pour tenir le public en haleine. Résultat, il attire toujours des distributions prestigieuses et engrange de véritables succès au box-office, les scores de Bac Nord et de Novembre attestent de sa popularité. Fort de ces réussites, il bénéficie des faveurs des producteurs.
Ainsi, le voilà à la tête d’un budget avoisinant les cinquante millions d’euros pour mener à bien son nouveau projet Chien 51, un film d’anticipation ambitieux adapté du roman de Laurent Gadé. Pour l’occasion, il collabore de nouveau avec Gilles Lellouche et Adèle Exarchopoulos, en sus de faire appel à des figures telles que Romain Duris, Louis Garrel ou encore Artus. Et c’est aussi une opportunité pour lui de renouer avec certaines thématiques de son premier long-métrage, Aux yeux de tous, qui s’intéressait déjà aux dangers de l’intensification de la surveillance des citoyens par les autorités.

Paris brûle-t-il ?
Cédric Jimenez nous plonge ici au cœur d’un Paris sectorisé, où la liberté de circulation n’est plus qu’un vague souvenir, ce au nom de la préservation de la sécurité, surtout celle des individus aisés. La retranscription visuelle de cette dystopie passe autant par un cadre assez convaincant (ce qui justifie en partie les sommes allouées au financement du film) et par quelques astuces de mise en scène assez pertinentes. Si les postes de contrôle ne relèvent pas d’une originalité folle, la vision d’immeubles rutilants ou de la Tour Eiffel entraînant un authentique choc émotionnel pour Gilles Lellouche intrigue.
Ce n’est pas tant la présence des bidonvilles qui inquiètent ou la séparation entre riches et pauvres maintes fois vues qui impressionne que la capacité de Cédric Jimenez à transposer le ressenti des résidents, qui ont oublié, de gré ou de force, les éléments qui constituent la singularité de la capitale. Certes, le metteur en scène digère mal ses influences, au-delà de l’ouvrage de Laurent Gadé. On comprend que Blade Runner, Minority Report, Hunger Games ou encore V pour Vendetta (plutôt le comic book) l’ont énormément impacté, sans qu’il parvienne à se distinguer réellement.

Néanmoins, il parsème quelques bonnes idées telles que ce jeu télévisé changeant radicalement le destin du vainqueur. Bien entendu, quand retentit l’appel des armes et que l’assaut est ordonné, fusil au poing, le cinéaste prend ses marques et impose son style sec, âpre, sans fioritures. Les scènes de poursuite ou les affrontements occurrent des moments fiévreux, durant lesquels aucune échappatoire n’est possible. Et son obsession pour la notion de sacrifice quasi christique transpire tout du long, bien qu’elle soit abordée de façon moins convaincante que dans le reste de sa filmographie.
Qui a peur de la méchante I.A ?
Cette faiblesse formelle évidente serait anecdotique si la problématique centrale du récit ne reposait pas sur des stéréotypes bien connus et des a priori dans l’air du temps très mal décryptés. La gronde sociale évoquée avec à sa tête un Louis Garrel tout droit sorti de chez Alan Moore, s’accorde à quelques mouvements de foule, tandis que Romain Duris revêt les traits du politicien mi-véreux mi dépassé trop souvent vu. Quant aux personnages incarnés par Adèle Exarchopoulos et Gilles Lellouche, ils ne brillent pas par leur écriture. Pis encore, leurs interprètes délivrent une performance assez terne, très éloigné de ce qu’ils proposaient dans Bac Nord.

En outre, à l’instar des récents Dalloway et du calamiteux Tron : Ares, Chien 51 articule ses enjeux autour des dangers de l’intelligence artificielle, comme si la science-fiction sur grand écran n’avait pas d’autre préoccupation aujourd’hui. Il est vrai que le sujet déchaîne les passions, à tort ou à raison, et que l’industrie du septième art craint ce loup à même de dévorer le concept de création (bien que l’outil en lui-même ferait sans doute mieux que bien des scénaristes ou réalisateurs au vu de la finition de bon nombre de travaux).
Dans tous les cas, faute d’un angle judicieux pour se pencher sur la question, Cédric Jimenez s’engage sur une pente sinueuse à défaut d’être en terrain conquis et répète bêtement les arguments de ses homologues, au lieu de se remémorer la réflexion de Stanley Kubrick dans 2001 : L’Odyssée de l’espace ou celle de Mamoru Oshii dans Ghost in the Shell. D’ailleurs, le portage du manga éponyme de Masamune Shirow demeure à ce jour le film le plus abouti sur cette thématique sur bien des aspects et beaucoup devraient revoir ce chef-d’œuvre.
Quant à Chien 51, sans être totalement déshonorant, il ne se hisse jamais à la hauteur des précédents opus de son auteur, en dépit des moyens mis à sa disposition. Toujours plus à l’aise lorsque les tirs fusent, Cédric Jimenez l’est de moins en moins en revanche, quand il s’attarde sur les motivations et les hésitations de ses protagonistes, humains ou non.
Film français de Cédric Jimenez avec Gilles Lellouche, Adèle Exarchopoulos, Louis Garrel. Durée 1h46. Sortie le 15 octobre 2025
François Verstraete
Share this content: