En pleine Guerre froide, de la Pologne à Paris, l’histoire d’amour tumultueuse entre un musicien et son égérie.

Pianiste et compositeur émérite, Wiktor parcourt la province polonaise pour dénicher des talents prometteurs, principalement des chanteuses, empruntes d’un naturel authentique. Dans sa quête, il fait la connaissance de Zula, jeune femme au fort tempérament, déjà marquée par la vie en dépit de son inexpérience. Pendant, quinze ans, ils vont s’aimer et se déchirer pour mieux se retrouver.

Avec Cold War, le cinéaste oscarisé pour Ida raconte à demi-mot la relation passionnée dans tout le sens du terme qui a uni ses parents durant quarante ans. Comme pour Ida, le metteur en scène polonais use d’un noir et blanc judicieux afin d’exposer un récit simple avec en fond l’Histoire, celle qui narre un pays rendu prisonnier par les tensions politiques d’après-guerre.

Narration au diapason

D’emblée, Pawlikowsky pose des bases d’une limpidité déconcertante. Si la Guerre froide incarne bel et bien le mal premier qui frappe la population, il va l’apposer sans cesse aux revirements et atermoiements de ses protagonistes. Bien que dans les premières minutes, une chanson populaire prône des relations sentimentales conformes à des logiques, si ce n’est de classe au moins de rang, le long-métrage va quant à lui unir et réunir deux êtres que tout oppose de prime abord. D’un côté l’artiste cultivé avide de liberté et de l’autre la jeune paysanne enchaînée aussi bien à ses racines qu’à son passé trouble.

À partir de ce postulat, le réalisateur n’aura de cesse de rythmer et de faire progresser sa narration, à la fois par les chants et musiques joués, par et pour les personnages, par les événements en arrière-plan qui se trament tout du long et bien évidemment par les séparations et retrouvailles des deux amants. Pawlikowsky transforme ces trois éléments en une véritable mesure d’unité temporelle, sans fards ni artifices, le tout répondant aux battements des sons, des étreintes et des canons. Unité temporelle, car ces derniers ne font pas qu’évoluer avec le récit, ils muent en même temps pour mieux faire corps avec lui et l’incarner pleinement.

La musique et les chants tout d’abord, voix populaires qui deviendront louanges politiques au point d’en écœurer leur chef d’orchestre et de l’envoyer vers d’autres cieux. Pourtant, son choix de se tourner vers des partitions différentes effritera peu à peu son idylle. Ici l’amalgame entre sons et personnalités se veut ténu. La romance quant à elle, est rapportée comme une éternelle rencontre, un renouveau perpétuel imprégné aussi bien par les marques d’affection que de discorde, où les allers et retours sont synchrones avec les réunions ou les ruptures. L’ensemble se conjugue à l’éloignement que ce soit dans l’espace que dans le temps.

Amants en eaux troubles

Quant aux événements tragiques qui se déroulent en toile de fond, Pawlikowsky ne cherche jamais la démonstration ostentatoire, juste quelques plans fugaces sibyllins toujours là pour rappeler la réalité du Rideau de fer et ce qu’elle implique. Wiktor devient malgré lui le jouet de cette ambiance manichéenne, épris de liberté mais enfermé dans le carcan de la passion, homme dont la dernière patrie sera celle d’un amour éperdu. Mais le véritable tour de force du long-métrage saute aux yeux du spectateur lorsque Pawlikowsky affiche toute sa maîtrise formelle en filmant comme peu savent le faire aujourd’hui, judicieusement hors champ, et contrechamps.

Ainsi quand les dialogues se tendent et que les troubles surviennent, la caméra tarde subtilement à se mouvoir, laissant transparaître par omission bouleversements et émotions vécues par le couple. De toute façon, peu importe le lieu, le temps ou les obstacles, seule compte la passion qui les unit. Point de gros plans sur leurs réactions, juste quelques secondes de flottement, où l’on imagine le désespoir, le dépit ou la déception se dessiner sur les visages absents des personnages.

Mélodrame d’une élégance rare, Cold War époustoufle non seulement par sa puissance d’évocation, mais également par une magie tragique tout droit héritée des écrits de Shakespeare ou Racine. Jamais à court d’idée pour séparer ses protagonistes, Pawlikowsky les met constamment au supplice pour mieux les gracier jusqu’au dernier contrechamp incandescent et mémorable.

Film polonais de Pavel Pawlikowky avec Joanna Kulig, Tomasz Kot, BorysSzyc. Durée 1h27. Sortie le 24 octobre 2018.

François Verstraete

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