Le pape décède subitement dans des circonstances mystérieuses. Le cardinal Lawrence, doyen du Vatican, doit organiser un conclave afin d’élire un successeur. Une tâche rendue ardue par les machinations de toutes sortes et un secret apte à tout changer, emporté par le défunt dans sa tombe.
« Nous servons un idéal, mais nous ne sommes pas des êtres idéaux ». Ces mots prononcés par un cardinal, en plein débat avec ses confrères, éclairent avec force, tous les enjeux de Conclave, le nouveau long-métrage d’Edward Berger, qui avait accouché d u très correct, À l’Ouest, rien de nouveau pour Netflix. Fasciné par l’élection du pape François il y a dix ans de cela, le cinéaste s’est interrogé sur les coulisses de l’événement et sur les répercussions à venir.
Quoi de plus opportun alors que d’adapter le roman éponyme de Richard Harris, l’un des écrivains prisés par le septième art ces dernières années. On lui doit notamment Ghost Writer et J’accuse (transposés à l’écran par Roman Polanski), Enigma ou L’Étau de Munich. Des œuvres dé jà délicates à retranscrire et l’entreprise s’avérait bien plus risquée avec Conclave. Voilà pourquoi Edward Berger s’est offert les services de Peter Straughan, spécialiste de l’exercice, qui avait travaillé avec plus ou moins de succès sur les scripts cinématographiques de La Taupe ou du Bonhomme de Neige par le passé.
Ici, il s’évertue à transmettre avec conviction le propos doux -amer de Richard Harris, ses ambivalences et sa densité. Cette intention louable se conjugue avec la bonne volonté du réalisateur, conscient de la portée de sa réflexion, aidée par un dispositif malin, bien que convenu, celui du whodunit, cher à Agatha Christie. Et si l’on peut reprocher au long-métrage de reposer sur une mécanique trop parfaite pour être honnête, il faut lui reconnaitre néanmoins, une certaine audace de ton, au-delà des artifices empruntés ci et là, dans l’air du temps.
Petits hommes…
Certes le moteur narratif s’articule autour de quelques éléments mystérieux et autres révélations en cascade. Toutefois, Edward Berger ne commet pas l’erreur de s’appuyer uniquement sur ces rebondissements, puisqu’ils ne servent qu’à lever le voile jusque là pudique, sur les doutes, les faiblesses et les égarements d’individus censés montrer l’exemple ,mais très loin d’être exemplaires. Le réalisateur n’hésite pas à rappeler à quel point ces hommes ont failli dans l’Histoire, en dépit de leur charge et du rang honorable induit par leur statut.
Il est d’ailleurs amusant de constater que ces ministres de la foi, prônant les vertus de la pauvreté et du renoncement, se complaisent dans un luxe presque indécent tandis que, hors champ, leurs confrères ne jouissent pas d’un tel confort, à l’image de Benitez, qui a connu les affres de la guerre partout où il a officié. Quant au cardinal Lawrence, il cristallise à la fois toutes les hésitations vécues par ces prêcheurs durant leur exercice ,mais aussi toute l’opiniâtreté, apte à balayer les vents contraires pour faire éclater la vérité. Son investigation a pour unique objectif d’éviter le pire et pour conséquences de démasquer impostures et félonie.
Le principe de la simonie, évoquée, renvoie aux heures sombres du Moyen-âge. Simonie et Nicolaïsme, luxure et corruption, des pratiques en contradiction totale avec leur vocation. Et lorsque le cinéaste rend son verdict, il s’applique à extraire toute la laideur, l’obscénité et la fragilité de ses protagonistes pécheurs. Si Lawrence appelle à ne pas les juger, il désire les écarter de la course à l’investiture suprême, même si les coupables estiment leur erreur aisément pardonnable. On reconnait dès lors, toute l’indélicatesse des politiques tandis qu’Edward Berger affine son propos et, sans fioritures, expose un portrait de ces personnages, fascinant, déroutant et dérangeant.
Pour un grand destin !
On entrevoit, à travers la chute des uns et des autres, l’importance des enjeux et pourquoi, ces êtres ont échoué dans leur quête absolue. La notion d’humilité, si prépondérante dans la religion chrétienne, se soustrait à l’orgueil, à l’ambition, même larvée au plus profond de l’âme de chaque candidat. Voilà pourquoi Lawrence craint davantage celui qui vise le poste à tout prix et préfère ceux qui y renoncent naturellement. Pourtant, comme l’énonce si bien Stanley Tucci, tous ont songé au nom qu’ils endosseraient en cas d’accès au Graal si convoité.
Les moments de silence ne prêtent plus alors à la sagesse ,mais à plutôt à la remise en question, comme si la foi se substituait à un vif désir, inavoué, inavouable et que l’on cédait à ses pulsions, à ses tentations. Lawrence, prêt à vaciller, se verrait bien finalement, couronné à la conclusion de ce long périple. En tout cas, n’importe qui sauf Tudesco, dont la victoire condamnerait des décennies de progrès, en termes d’ouverture et de tolérance. Et le devoir de mémoire se heurte aux velléités de certains.
Oui, le sort du monde se joue dans cette alcôve, dans une enceinte sacrée, dont les locataires n’ont toutefois pas hésité à pactiser avec le diable jadis Lors d’un débat un poil houleux, un cardinal ose rappeler que la papauté avait fermé les yeux sur les horreurs commises par l’Allemagne nazie ou sur les violences pédophiles perpétrées par nombre de prêtres. La question de se tourner vers le « moins pire » se pose tandis que le peuple attend et est une nouvelle fois oublié. Et la réflexion sous-jacente se profile autour de la quasi -omnipotence d’un homme, capable d’influencer les foules et de les faire entrer dans une ère d’obscurité.
Variations pour une élection
Par conséquent, tous doivent voter avec précaution et respecter de fait, la volonté divine ,mais aussi leurs propres valeurs (comme le murmure Lawrence au moment d’avancer vers l’urne). Ces séquences se répètent et s’étirent afin de déployer une mécanique implacable, toute en variations et présenter ainsi, toutes les difficultés à fédérer, autour d’un unique élu. Si le réalisateur parvient à diversifier l’approche de chaque journée de scrutin, c’est pour mieux superposer l’attente du résultat final avec les différents troubles, parfois un poil vulgaires, qui viennent semer le chaos dans cette assemblée si ordonnée.
Le remords se mêle à la déception ou à la rancune pour ceux chancelant sur la dernière marche triomphale en raison de leurs excès. Et curieusement, Edward Berger affiche ses limites au cours de cette démonstration, qu’il souhaite si ciselée qu’elle en devient presque trop rigide, enfermée dans ses codes et son ampleur. Edward berger aspire à se hisser au rang des grands auteurs de sa génération, comme ses personnages aspirent à se hisser au rang de pape. On préfère davantage que le film se berce dans ses incertitudes plutôt que dans un objectif « Oscar », visible à mille lieues (corrélant d’ailleurs avec la performance de Ralph Fiennes, qui relève à la fois de l’admirable et du numéro d’acteur).
Voilà pourquoi Conclave n’est jamais aussi efficace que quand il s’affranchit des critères exigés (et fallacieux) pour un chef-d’œuvre contemporain, en se focalisant sur les quelques instants d’éternité nécessaires à une authentique introspection. Certes, il ne frappe pas à la grande porte et se contente du strict minimum diront alors les uns… les autres loueront une forme de sincérité bienvenue.
Film américain d’Edward Berger avec Ralph Fiennes, Stanley Tucci, Isabella Rossellini. Durée 2h00. Sortie le 4 décembre 2024
François Verstraete
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