Auteur de bande-dessinée à succès, Woody s’imagine lui-même dans la peau du super-héros qu’il a créé. Or, suite à la demande d’un ami, membre de la CIA, il va participer à une dangereuse opération d’espionnage… et d’assumer le rôle de Condorman.

Affublé d’un costume d’oiseau, un homme s’élance de la Tour Eiffel et prend son envol. Au bout de quelques secondes de traversée, il finit par s’écraser, heureusement pour lui sans dommages. Non, il ne s’agit pas de la scène d’ouverture de Kick-Ass qui aurait été modifiée, dépourvue de sa conclusion funeste (le personnage décédait atrocement après avoir capté l’attention de la foule, dans des conditions similaires).

En revanche, on soupçonne fort Mark Millar, le scénariste du comic book Kick-Ass et Matthew Vaughn, le cinéaste qui l’a adapté à l’écran, d’avoir rendu hommage à cette séquence de Condorman, un super-héros britannique pas comme les autres, né après le triomphe de Superman en 1979 et placé sous la bannière des studios Disney. Comme quoi l’histoire de Disney avec les surhommes est bien antérieure au MCU. Réalisé par Charles Jarrot, artisan vétéran pas vraiment talentueux, Condorman ne brille ni par sa mise en scène ni par sa distribution.

Condorman prend son envol

En outre, il ne relève ni du film culte (ou alors très peu) et encore moins du chef-d’œuvre. Vaguement basé sur un roman des années soixante, L’Espion du dimanche de Robert Sheckley, le long-métrage fascine par sa capacité à amalgamer toutes sortes d’influences de la pop culture de l’époque. En résulte un chaos formel qui traversera les âges et inspirera par la suite plusieurs auteurs, à commencer donc par Mark Millar et Matthew Vaughn. Et sous ses aspects bien propres sur lui, Condorman parvient à crédibiliser une entreprise ridicule et de fait, à renverser les codes pourtant bien établis du récit d’aventures.

Du Grand Blond…

D’ailleurs, Condorman se rapporte davantage au film d’espionnage dépaysant à la James Bond qu’à celui de super-héros. Toutefois, à l’origine, rien de prédispose le sympathique Woody à revêtir le costume d’agent secret à et à se lancer dans de multiples péripéties à travers la planète… rien hormis une terrible méprise qui renvoie aussi bien à celle de La Mort aux trousses qu’à celle du Grand Blond avec une chaussure noire. Chez Hitchcock, Cary Grant répond à un appel téléphonique qui le fait passer, malgré lui, pour un espion. Quant à Pierre Richard, certaines forces le manipulent contre sa volonté afin de déstabiliser la partie adverse et de remporter une vaste bataille d’information.

Cependant, Woody assume ici totalement l’erreur sur la personne, puisqu’il devient acteur et moteur de la farce en cours. Il décide d’emblée d’endosser une autre identité, afin de séduire la belle Natalia. S’ensuit dès lors une série d’affrontements burlesques, dont il ressort vainqueur, aidé par sa maladresse et surtout par la chance, digne de celle de Pierre Richard chez Yves Robert. Guidé par un concours de circonstances et favorisé par l’omnipotence narrative, Woody convainc ses ennemis qu’il est l’homme à abattre… et de la situation pour celle qu’il aime.

Une voiture plus visible que celle de James Bond

On observe ainsi les tribulations d’un doux rêveur, d’un esprit fertile qui désire s’extirper de sa bouteille, tel le djinn d’Aladdin et aspire à reproduire les exploits des personnages nés sous son coup de crayon. Et c’est par ce biais, que Condorman suscite un véritable intérêt. Outre le jeu diégétique et la mise en abyme déployés ici (les bulles dessinées racontent ou annoncent les pérégrinations et intentions des protagonistes), le long-métrage développe habilement un dispositif visant à fusionner le réel et la chimère. Une manière de justifier l’improbable et de transporter, par conséquent, le spectateur au-delà des contraintes d’un quotidien monotone.

À James Bond

Contrairement à John Huston qui proposait un pastiche de James Bond avec Casino royale, Charles Jarrot amorce la transformation d’un quidam en héros quasi invincible, porté uniquement par le pouvoir de son imagination qui élabore les gadgets totalement fous dans la veine de ceux conçus par le service Q. Le cinéaste n’hésite pas à emprunter à l’univers de 007 pour alimenter ses moments de bravoure, aussi loufoques que gentiment épiques. Course poursuite en bateau ou en voiture, véhicules améliorés pour l’occasion, utilisation de lasers ou de fusées de propulsion sur un télésiège, tout y passe et surtout tout est propice pour souligner l’initiation d’un auteur en protagoniste issu d’un comic book (ou plutôt de fumetti par instant).

Vous prendrez bien un coup de canon laser ?

Les atermoiements du départ s’estompent et Woody s’affirme en sauveur de la nation. Balloté de ville en ville, tel un véritable agent secret de cinéma, cet individu incrédule nous ferait presque croire à l’impensable…à l’instar d’un Christopher Reeve qui prouvait à l’écran, qu’un homme pouvait voler, ce deux ans auparavant. Et l’aspect modeste de la direction artistique ou le cabotinage des interprètes ne sauraient occulter les quelques minutes précieuses durant lesquels l’homme-oiseau déploie ses ailes, sa dulcinée à son cou, pour échapper à ses poursuivants. Entre kitch assumé et célébration d’une pure série B, l’équilibre était trouvé et l’honneur sauf.

Condorman essuiera un énorme revers en salles, en dépit des moyens de production et de communication, injectés par Disney. Tombé depuis dans l’oubli, en tout cas aux yeux d’un large public, l’essai de Charles Jarrot, au charme indéniable ,mais désuet, séduit encore par sa naïveté confondante et sa foi indéfectible dans un concept incongru. Ou quand l’audace prévaut sur l’art et le talent.

Film britannique de Charles Jarrot avec Michael Crawford, Oliver Reed, Barbara Carrera. Durée 1h30. 1981.

François Verstraete

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