Lycéenne un poil perdue, Makoto a pour habitude d’appâter des quadragénaires afin de se faire raccompagner en voiture durant ses sorties nocturnes. Un beau jour, le petit manège tourne mal. Un étudiant Kiyoshi se porte alors à son secours. Ils entament rapidement une relation destructrice…
Un couple débute un sulfureux jeu de séduction au bord de l’eau. La jeune fille refuse de céder aux avances d’un garçon plus âgé, à l’attitude inquiétante, agressive. Il la jette dans le bassin peu attractif. Elle ne sait pas nager, elle se débat tandis qu’à contrechamp, on devine le regard glaçant de son futur amant.
Quatrième long-métrage de Nagisa Oshima, Contes cruels de la jeunesse marqua un virage dans la carrière du réalisateur. Ainsi en dressant un portrait désenchanté de la jeunesse nippone des années soixante, il va affirmer une fois pour toutes son style subversif, violent, sans concession. Lorsqu’Oshima entame le tournage de Contes cruels de la jeunesse, le Japon connaît lui moult remous tant sur le plan sociopolitique que cinématographique.
De multiples manifestations éclatent un peu partout dans le pays, menées le plus souvent par des étudiants déçus du peu d’avancées sociales, mais aussi par les réfractaires au joug américain, imposé depuis la défaite, tutelle dont le gouvernement ne s’est jamais véritablement affranchi. Par ailleurs, sur l’aspect strictement culturel, comme dans de nombreux endroits à travers le globe, une Nouvelle Vague souffle un vent de renouveau sur le paysage cinématographique local.
Si Akira Kurosawa continue d’imprégner sa patte, les décès d’Ozu (récent d’ailleurs) et de Mizoguchi, la perte d’influence de Naruse, vont amener à un changement brutal des codes en vigueur. Oshima va incarner l’une des figures de proue de ce bouleversement, via en particulier Contes cruels de la jeunesse et bien entendu, quelques années plus tard, le sulfureux L’Empire des sens.

L’ombre de Nicholas Ray ?
C’est pourquoi Oshima affiche d’ores et déjà dans Contes cruels de la jeunesse son affection pour les marginaux, les écorchés vifs, pour ceux qui refusent de se plier aux exigences d’un système morne et uniformisé. Cependant pour cette fameuse jeunesse, point d’aspiration à un rêve quelconque, juste une exitence d’errance, traversée par des fulgurances à la bestialité inouïe. Ces personnages rejoignent en quelque sorte ceux de Nicholas Ray, sur certaines thématiques, l’ombre de La Fureur de vivre plane sur ces Contes cruels de la jeunesse.
Quant à Kiyoshi il devient l’héritier direct du protagoniste interprété par Humphrey Bogart dans Le Violent, toujours de Nicholas Ray. En revanche, bien qu’Oshima fasse preuve du même sens de la litote que celui de son homologue américain, notamment par le biais de sa maîtrise fort à propos du contrechamp, le cinéaste nippon répond au classicisme hollywoodien et japonais par un esthétisme échevelé, hypnotique, transposant dans chaque scène aussi bien la détresse larvée de son héroïne et le caractère à fleur de peau de son héros.
Radicalité immuable
Liaison dangereuse que celle entretenue par Makoto et Kiyoshi, dépendance affective avérée d’une lycéenne en quête de repères, envers un véritable pervers narcissique. Les deux subsistent comme petits arnaqueurs voyant plus grand que nature ; ils veulent vivre vite, intensément, ne rien regretter, ne rien céder aux caprices d’un monde qui a déjà écrasé par le passé la romance de la sœur de Makoto avec ce médecin déchu.
Pour Makoto, une unique ambition, humaniser son compagnon, invincible fanfaron. Pour Kiyoshi, un seul but, celui d’émanciper Makoto de ses appréhensions, des dernières entraves qui la lient autant à sa famille qu’à une société qu’il honnit. De cette union ne peut jaillir au final que des larmes et du sang, pendant qu’Oshima s’échine à peindre cette passion émaillée d’une violence sexuelle très explicite pour l’époque. En outre, le réalisateur refuse aussi bien tout manichéisme qu’une lecture linéaire sur un plan unique à son récit.

Ainsi, le magnat rencontré par Makoto échappe donc à tous les poncifs que l’on attribue usuellement à ce type de personnages. Par ailleurs, en apposant plusieurs strates à cette histoire d’amour, en la mettant en parallèle avec celle vécue par la sœur de Makoto, mais également avec celle de son amie avec un autre étudiant, Oshima parvient à renforcer le lyrisme tragique du long-métrage tout en réfutant tout jugement hâtif, toute conclusion hasardeuse.
Avec Contes cruels de la jeunesse, Oshima asséna un grand coup sur la production locale, fable véhémente, mélodrame virulent n’épargnant personne au passage. En s’affranchissant des barrières morales en vigueur à l’image de ses personnages, le metteur en scène leva bon nombre de tabous et s’imagina dans un univers dans lequel il serait interdit d’interdire… cet univers ce devait être celui du septième art !
Film japonais de Nagisa Oshima avec Yusuke Kasawu, Miuyki Kuwano, Yoshiko Kuga. Durée 1h36. 1960.
François Verstraete
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