Meiko voit son ancien compagnon commencer une nouvelle histoire avec une amie proche. À la demande de son amant, Nao tente de séduire un éminent professeur de littérature afin de le piéger. Natsuko, suite à une méprise, tisse des liens singuliers avec une étrangère. Meiko, Nao, Natsuko, trois femmes qui devront faire un choix en quelques secondes, une décision à même de bouleverser leur existence… mais également celle de leur entourage.

Après avoir remporté le prix du jury au Festival de Cannes pour Drive my car, Ryusuke Hamaguchi a de nouveau triomphé, cette fois au Festival de Berlin avec ces Contes du hasard et autres fantaisies en repartant avec l’Ours d’argent. Une année 2021 faste, synonyme de consécration pour le cinéaste nippon en sus de sa collaboration réussie avec Kiyoshi Kurosawa sur Les amants sacrifiés. Un auteur reconnu au talent indéniable, mais qui tarde à séduire le public en raison d’une forme beaucoup moins accessible et ostentatoire (qui a dit racoleuse) à même de l’acquérir à sa cause. Un constat bien triste, en somme, sur ce point.

Inspirations hétéroclites

Film à sketches, Contes du hasard et autres fantaisies puise son inspiration chez le réalisateur français Eric Rohmer et ses fameux Contes des quatre saisons. À l’image du Sud-Coréen Hong-Sang Soo, Ryûsuke Hamaguchi apprécie fortement l’œuvre du metteur en scène français (mais également les travaux d’Howard Hawks et de John Cassavettes). Rien d’étonnant donc que son approche formelle présente certaines similitudes avec celle de son confrère sud-coréen. Quoi qu’il en soit, au-delà des analogies avec ses illustres modèles, Hamaguchi grandit un peu plus, film après film, pétri de qualités que l’on n’avait pas vues sur l’archipel depuis l’émergence de Kore-Eda. Contes du hasard et autres fantaisies va ainsi ajouter une nouvelle pierre à un édifice d’ores et déjà conséquent.

Contes du hasard et autres fantaisies présente trois histoires courtes, Magie ?, La porte ouverte et Encore une fois… récits d’un choix pour chaque héroïne confrontée à un dilemme moral, d’une décision à prendre à même de blesser l’interlocuteur ou le proche, il faut donc trancher dans le vif en une fraction de seconde, une éternité pour chacune d’entre elles. Durant ces quelques secondes insoutenables, Hamaguchi retient son souffle, impose une sobriété de rigueur, policée, contrastant avec une lecture au ton sulfureux, un échange incandescent entre deux anciens amants ou encore des retrouvailles émaillées d’une joie éphémère, moments qui ont précédé puis amené à une situation inextricable.

L’art du détail

On entrevoit alors toute la maîtrise narrative affichée par Hamaguchi ou comment causes et conséquences étirent le temps au profit d’un unique instant crucial, pivot qui fera tout basculer. Des motifs appuyés par de longs dialogues en quasi plan-séquence, qui de prime abord, n’annoncent en rien ce qui s’ensuivra. En effet, Hamaguchi, depuis ses débuts, entretient l’art du secret, distillé par les non-dits sibyllins dilués dans les joies mornes et la quiétude du quotidien. L’échange d’ouverture de Magie ? Entre Meiko et Tsugumi en incarne le parfait exemple.

Quand Tsugumi relate son coup de foudre lors d’un périple en taxi, rien ne laisse présager un lien quelconque avec la destinée de Meiko… et pourtant. Cependant, cultiver cet art du secret ne constitue pas le socle principal sur lequel repose le style d’Hamaguchi. Il participe à une recette plus raffinée qui trouvera son équilibre plus tard dans Drive my car (Contes du hasard et autres fantaisies a été tourné un an auparavant). Dans les représentations théâtrales d’un quotidien commun à tous ses protagonistes, seul importe pour le cinéaste la possibilité d’expier les péchés du passé, d’oublier et surtout de revivre encore une fois, par la pensée ou par procuration, ces fameux instants qui ont bouleversé les existences de chacun et de chacune.

C’est alors que le réalisateur fait montre de tout son savoir-faire, accentue la tension d’un cran avec toute la finesse qui le caractérise. On se ravit à imaginer ce qui aurait pu être, ce qui sera si on laisse éclater la vérité, celle qui déplaît ou plutôt celle qui nous arrange, imposture des faits, sensation d’une injustice que l’on a soi-même engendrée. Pour finalement tout remettre en question au profit d’une introspection salvatrice.

Avare en démonstration forcée, Ryûsuke Hamaguchi continue d’appliquer une méthode désormais éprouvée combinant souffle mélodramatique précieux et éloge cathartique dénuée de l’esbroufe clinquante et horripilante présente dans beaucoup trop de long-métrage du même genre. Surtout, il s’impose définitivement en auteur au style gracile et élégant tout en suscitant l’admiration quand il délaisse un cynisme de rigueur au profit d’authentiques valeurs humanistes.

Film japonais de Ryûsuke Hamaguchi avec Kutune Furukawa, Ayumu Nakajiwa, Hyunri. Durée 2h01. Sortie le 6 avril 2022

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