Désormais seigneur des Terres de l’Ouest, Ji Fa doit se préparer à affronter les troupes du maléfique roi Shou Yin, dotées de redoutables pouvoirs occultes. Fort heureusement, Ji Fa peut compter sur l’aide d’envoyés célestes et de leur membre le plus avisé…

Depuis quelques années, la Chine est entrée dans l’ère des superproductions ambitieuses, censées rivaliser avec celles issues outre-Atlantique. Il est autant question pour le géant asiatique d’étendre son hégémonie culturelle en dehors de son territoire que de renforcer un socle public solide sur le sien, en boutant au passage les films provenant des écuries américaines. Et si Disney et consorts ont réalisé des scores conséquents dans un passé pas si éloigné (on pense notamment à Avengers : Endgame), l’industrie locale, nanti de moyens rondelets, commence à attirer davantage sur son sol que l’adversaire yankee.

Ainsi, Creation of the Gods : Kingdom of Storms, premier volet d’une trilogie basée sur le roman L’Investiture des dieux, a engrangé des recettes dépassant les trois cent soixante millions de dollars pour un budget avoisinant les cent dix millions, soit une performance honorable. Considérée comme Le Seigneur des Anneaux chinois (par paresse intellectuelle), cette adaptation rappelle que la Chine regorge de mythes et d’ouvrages anciens à même d’inspirer le cinéma de genre, telle la référence ultime en la matière, Au bord de l’eau, équivalent dans son ampleur à L’Iliade et L’Odyssée d’Homère. Comme quoi, les écrivains du crû n’ont pas attendu le vingtième siècle pour accoucher d’œuvres de fantasy.

Le sorcier pas très fûté

En revanche, la transposition de ces récits à l’écran ne correspond pas forcément aux expectations, en termes de qualité. Creation of Gods: Kingdom of Storms souffrait de maints défauts, que ce soit au niveau du rythme ou de la cohésion d’ensemble. Qui plus est, le savoir-faire asiatique sur le plan du spectacle, très artisanal (cf. Hong Kong et ses wu xia fabuleux, ah Zu et les guerriers de la montagne magique) s’est considérablement appauvri avec l’apparition du numérique. Hormis, les Detective Dee de Tsui Hark, peu de réalisations usant de gros moyens technologiques ont convaincu. On se souvient de Storm Riders, premier long-métrage à employer justement ce type d’effets, qui privilégiait la débauche visuelle au détriment de sa narration.

Entre anarchie et poème épique

Voilà pourquoi on craignait que ce nouvel opus, Demon Force, ne baigne dans une nonchalance identique, qui ne dépareillerait pas avec certains essais calamiteux américains. Par ailleurs, on s’interrogeait sur la capacité du cinéaste aux commandes, à lâcher cette fois la bride de sa monture, en s’appuyant sur ses protagonistes aux pouvoirs quasi illimités, aptes à injecter cet aspect dantesque si espéré. Comme si le côté gadget et sophistication son et lumière suffisait à retranscrire la folie des affrontements de masse (John Woo a démontré l’inverse avec ses Trois Royaumes en 2008).

Dans tous les cas, on ressent une frustration dès l’ouverture, qui va crescendo durant une première heure, plombée par l’anarchie du dispositif. La myriade d’enjeux, fréquemment mineurs, la multitude de personnages et la nécessité de faire avancer l’action s’entrechoquent, laissant le spectateur trop souvent sur le carreau. S’il ne s’ennuie pas, il se perd régulièrement en raison de l’enchainement frénétique de situations sans aucun rapport alors que l’intrigue, a priori simpliste, ne s’affranchit jamais de la complexité des wu xia, sans en posséder la saveur.

En plein doute

Fort heureusement, la direction artistique, sans être impressionnante, délivre quelques belles figures, par l’intermédiaire de géants qui n’ont rien à envier à leurs homologues d’Europe du Nord. Leur apparition inattendue plonge l’armée de Ji Fa dans l’incertitude totale, même si le courage et l’honneur leur ordonnent de combattre jusqu’à la mort. Il faut dès lors se résoudre à supporter un souffle lyrique qui aurait été bienvenu, s’il n’avait pas été aussi maladroitement digéré.

Fausse démesure

En effet, alors que John Woo, Tsui Hark, Chang Che et King Hu ont entrelacé avec harmonie, poésie et empoignades mémorables, leurs successeurs sur le continent peinent à renouer avec la formule qui a fait la gloire de leurs ainés. Et Wuershan appartient à la catégorie de ceux qui échouent, tant le talent lui fait défaut dans les moments cruciaux. Dès que la tension s’accentue, la magie n’opère plus et il se contente du strict minimum. Par conséquent, le sommet du long-métrage repose sur des artifices désuets et l’embuscade dans le ravin ne se distingue pas par son originalité.

Des géants et des dieux

Pourtant, par séquences, le réalisateur touche du doigt ce délire épique à même de faire vibrer. La course-poursuite en montagne témoigne d’une inventivité relative, le cinéaste filmant à toute allure cette joute à cheval près des corps. Quant à la pseudo romance impossible entre Ji Fa et Deng, elle s’érige en mal nécessaire pour mieux se détacher de la pesanteur ambiante à deux reprises. La rencontre entre les amants maudits, entre piège malicieux et chant populaire, annonce un curieux jeu de séduction sur fond de tragédie. Et puis il y a la fête avant le drame, sans doute la scène la plus aboutie, la plus inattendue sur la forme aussi. Une façon regrettable de montrer que ce Demon Force, délesté de son agenda calculateur, aurait dû proposer davantage.

Inoffensif, Creation of the Gods II : Demon force est perclus d’écueils similaires à son prédécesseur. Néanmoins, les quelques éclaircies transperçant les ténèbres de la fadeur, le sauvent in extremis du naufrage. Ni déplaisant ni marquant, le long-métrage gagnerait surtout à changer de réalisateur.

Film chinois de Wuershan avec Yu Shu, Huang Bo, Nashi. Durée 2h24. Sortie le 26 janvier 2025

François Verstraete

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