Été 1967, ville de Détroit aux États-Unis. Des émeutes sans précédent éclatent en protestation envers la guerre du Viêt-nam et le ségrégationnisme racial. Cherchant un tireur isolé au sein de l’hôtel Algier, l’armée et la police interviennent. Cette dernière va alors user de tous les moyens possibles, même les plus répréhensibles pour débusquer un coupable imaginaire.
La mémoire collective ne retient que l’Histoire récente tant la volatilité de l’information accentue cet état de fait. À l’heure où les nouvelles se font incendiaires et font le tour du monde en quelques secondes, le problème des violences raciales aux États-Unis s’il est toujours tabou, n’est absolument plus sujet de déni à part des aveugles ou ceux rongés par la mauvaise foi ! Pourtant, si les émeutes de Los Angeles en 1992 sont encore en partie dans les esprits, celles de 1967 ont été largement oubliées depuis.
Le contexte socio-politique de l’époque entre mutations à venir et conservatisme de rigueur s’apparente à une poudrière volcanique. Entre la guerre du Viêt-Nam, le gouvernement de Jonhson remis en cause, à tort ou à raison, et le militantisme de Martin Luther King qui peine concrètement à impacter les législations en vigueur, toutes les pièces d’un échiquier infernal sont en place. Ne reste plus qu’à commencer la partie, et celle-ci, tragique à souhait va se jouer notamment dans les rues de Détroit…
Ce n’est pas un hasard si Kathryn Bigelow s’évertue aujourd’hui à conter le drame qui s’est déroulé dans l’hôtel Algier au plus fort des soulèvements. Il y a déjà près de vingt ans, elle s’était inspiré de l’affaire Rodney King à l’origine des émeutes de 1992 pour son Strange Days. Et bien que critiques et cinéastes lui reprochent son illégitimité pour parler de cette affaire aux cicatrices jamais refermées, elle accouche une nouvelle fois d’une poignante fable politique aux atours aussi bien nuancés que fascinants.

L’antichambre de l’horreur
Comme à l’accoutumée elle fait montre de force dans une exposition en trois actes à la finesse rarement égalée ces dernières années. Un générique animé qui n’oublie jamais la précarité et l’opprobre vécu par la communauté afro-américaine. Puis s’ensuit une descente de police où fonctionnaires haineux et contrevenants affichent leurs fautes et faiblesses et où surtout les clichés s’évanouissent peu à peu. La fuite des stéréotypes continue quand vient la présentation des protagonistes. Leurs motivations, leurs rêves, leur douleur et leur hostilité vont pouvoir alors s’entrechoquer dans un huis clos glacial et anxiogène.
La mécanique de la souffrance, de l’intolérance et de la peur des différences va s’enclencher vers un sanglant paroxysme. À ce moment, la réalisatrice ne nous épargne plus rien, accentue la tension à l’écran comme elle fait monter la pression d’un cran sur tous ses personnages. Tous sont en ébullition les uns cherchant à survivre, les autres à justifier l’indéfendable. Pourtant, la cinéaste ne cède jamais à la facilité, à l’esbroufe où l’explosion grossière de la violence.
Si cette dernière se veut toute viscérale, elle prend plus aux tripes qu’au regard, ce qui amplifie d’autant plus l’intensité dramatique qui se joue sous les yeux des spectateurs. Aux suspects néanmoins innocents qui ne souhaitent que voir le lendemain s’opposent policiers au racisme aussi ordinaire qu’ordurier, militaires dépassés et lâches et bon samaritain impuissant. Et quand vient le temps de l’implosion, comment ne pas être secoué par l’onde de choc sourde et froide envoyée par la caméra ?

Portrait nuancé
Mais la démonstration socio-politique ne s’arrête pas là, elle commence juste et comme le reste du long-métrage, échappe à tous les poncifs habituels. Si les archives sont incomplètes et entravent une parfaite reconstitution des événements, Bigelow parvient en revanche à arracher un portrait désabusé des États-Unis, qui ne sont plus si unis dans cette adversité. L’individualisme unique moteur de survie devient alors le mécanisme de défense supposé salvateur… et pourtant… car Bigelow fait preuve d’un culot hors norme pour mettre en exergue la faillite certes connue des institutions, mais surtout des hommes en pointant du doigt responsabilités, mais aussi actes de bravoure bafouant l’image manichéenne si simple, si simpliste.
Ici les casseurs s’en prennent à leur propre communauté ou peuvent être issus de l’Amérique blanche si aisée. Blancs et noirs peuvent également communier le temps d’un spectacle ou autour d’un diner. Les policiers peuvent être racistes et se contenter à des raisonnements obtus, mais aussi sauver les victimes de leurs collègues. Pour Bigelow le tissu sociétal et son déchirement ne peuvent être assimilés à une seule guerre où les rôles sont distribués d’avance. La complexité de la tragédie toujours en cours actuellement se pose sur des structures si ce n’est profondes tout du moins protéiformes.

Avec Detroit, Kathryn Bigelow imprime un peu plus de son empreinte le cinéma contemporain. Poignant long-métrage d’horreur s’il en est, Detroit n’est pas une simple ode aux victimes d’hier et d’aujourd’hui, un énième cri de révolte ou bien une autre alarme que l’on déclenche. C’est surtout le tableau terriblement humain d’un monde en déliquescence fondée sur des bases spoliées par ceux qui l’utilisent. Constat amer et sévère, juste et jamais réducteur, le film de Bigelow s’inscrit dans la grande lignée des brûlots politiques passés, présents et à venir.
Film américain de Kathryn Bigelow avec John Boyega, Will Poulter, Algee Smith Durée 2h23. Sortie le 11 octobre 2017
François Verstraete
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