Tout juste rétabli après les événements survenus dans Spider-Man : No Way Home, Doctor Strange va devoir voyager à travers de multiples réalités parallèles afin de stopper une nouvelle menace inimaginable, mais également se confronter à ses propres errements…

Quels que soient ses qualités et ses défauts, Doctor Strange in the Multiverse of Madness boucle peut-être une première grande étape, pas seulement pour la franchise à succès du Marvel Cinematic Universe, mais pour le genre en général. En effet, le retour de Sam Raimi aux commandes d’un film de super-héros, quinze ans après avoir signé la première trilogie consacrée à Spider-Man, suscitait à la fois, espoirs, interrogations, nostalgie. Surtout il impliquait une grosse prise de risques pour un cinéaste qui a redonné un authentique deuxième souffle à tout un pan de l’industrie tant d’un point de vue commercial (ce au même moment de la sortie de X-Men 2 de Bryan Singer) que critique, Raimi portait ainsi bien haut les valeurs prônées par Richard Donner et Tim Burton en leur temps.

Or, à l’heure où le genre subit des attaques de toutes parts et que le Marvel Cinematic Universe agace aussi bien par son formatage (bon sur ce point il faut plutôt parler de qualité variable, mais là je ressasse encore et toujours) que par ses recettes colossales, le choix de Sam Raimi par le studio fait office quelque part de calumet de la paix à destination des sceptiques et de certains fans de la première heure en partie lassés.

Retour aux sources…

En s’attelant à la réalisation de Doctor Strange in the Multiverse of Madness, Sam Raimi succède donc à Scott Derrickson (auteur d’un premier opus dédié au sorcier suprême assez médiocre). Souvent lorsque l’on aborde l’analyse d’un long-métrage du MCU, tous (à commencer par les détracteurs de la licence) se concentrent sur la liberté accordée ou non au metteur en scène (au lieu parfois de se demander si le problème ne réside pas dans la désignation de la personne aux commandes). Dans le cas présent, il faut plutôt cerner la nature même du cinéma de Sam Raimi, en évitant confusion, amalgame et raccourcis. Il n’y a en effet jamais eu de différence concrète entre sa trilogie Evil Dead ou Spider-Man, entre Darkman et son premier film Mort sur le grill ou encore Un Plan simple.

Du héros ingénu en construction ou en reconstruction, marqué par la fin brutale de l’innocence à la damnation éternelle des déchus en passant par l’horreur la plus pure doublée d’un stryle graphique tendance cartoon, Raimi rassemble tous ses éléments avec plus ou moins de réussite (franchement son western Mort ou vif faisait pâle figure) au sein d’un univers par moments si proche et pourtant très distinct de celui des frères Cohen, compagnons de route de longue date. Dans tous les cas, Raimi n’oublie jamais son sens de l’épouvante, y compris dans ses Spider-Man (souvenez-vous des meurtres de Green Goblin ou du réveil d’Octopus en pleine opération…).

et en fanfare ?

Avec ce Doctor Strange in the Multiverse of Madness, il s’en donne à cœur joie en brossant un tableau fantasmagorique au sein duquel s’affrontent les monstres, les magiciens d’un autre temps et les nouveaux dieux de l’Olympe. La cruauté l’emporte alors souvent sur la raison tandis que les cadavres pleuvent sur les rues. On ressent ainsi pleinement la patte de Sam Raimi avec ce constat marqué par le style ostentatoire du cinéaste.

Cependant, une telle liberté n’induit pas nécessairement un triomphe et les lacunes nombreuses se dévoilent, un rythme trop fréquemment décousu, du fan service encore une fois un poil forcé (mais moins racoleur que dans Spider-Man : No Way Home), un manque de logique dans le scénario et surtout cette impossibilité de saisir tous les tenants et aboutissants du dispositif sans avoir vu ou lu certaines œuvres essentielles à la compréhension du puzzle (à savoir les séries Wanda Vision, What if, le film Spider-Man : No Way Home, voire les comic book Scarlet Witch and Vision, Avengers West Coast et Avengers Disassembled…).

Mais passé ces lacunes assez fâcheuses, le long-métrage retrouve de l’allant quand la forme la plus élégante de l’art de Raimi prend le pas sur ses artifices grandiloquents. Ainsi, l’introduction qui lie par l’image tous les enjeux dans un maelstrom étourdissant renvoie directement à celle fort habile de Spider-Man 2. Par ailleurs, on ne peut qu’admirer l’une des séquences de combat les plus ingénieuses vues au cinéma de ces dix dernières années, très travaillée esthétiquement, avec une remarquable gestion de l’espace. Et il y a surtout le personnage de Scarlet Witch, incarné par une Elizabeth Olsen convaincante, qui correspond très bien aux archétypes prisés par le metteur en scène et donne la véritable substance au long-métrage, volant au passage la vedette à Benedict Cumberbatch.

Une partie du public, observateurs, critiques et surtout opposants au MCU attendent un grand film comme le Godot d’une franchise de plus en plus décriée. Depuis le premier Avengers signé Joss Whedon, la formule de Kevin Feige tâtonne par moments voire s’enlise, mais sort la tête de l’eau par à coups. Taika Waititi et plus récemment Chloé Zhao (même si ses Éternels pourtant audacieux n’ont pas conquis le box-office) ont accouché si ce n’est de chef-d’œuvre au moins de prdoctions bien calibrées empreints d’une véritable identité. Il en va de même pour ce Doctor Strange in the Multiverse of Madness, certes inégal, mais suffisamment efficace pour se hisser parmi les réussites notables de la marque. Comme quoi pour Sam Raimi, c’était fort cette idée de retour !

Film américain de Sam Raimi avec Benedict Cumberbatch, Elizabeth Olsen, Chiwetel Ejiofor. Durée 2h06. Sortie le 4 mai 2022.

François Verstraete

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