D’ici quelques mois, la création de Gary Gigax et Dave Anderson célèbrera son cinquantième anniversaire. En signant Dungeons and Dragons, les deux comparses ont lancé un type de divertissement révolutionnaire (longtemps mal vu, à tort), fondé uniquement sur l’imaginaire et la convivialité. Le jeu de rôle était né et il continue à engendrer des émules aujourd’hui et à recruter de nouveaux pratiquants. Basé sur de nombreux principes de l’heroic fantasy, Dungeons and Dragons et ses auteurs ne tarderont pas à développer plusieurs univers afin de varier les plaisirs ludiques de ses adeptes, à commencer par les mondes de Greyhawk ou de Forgotten Realms qui puisent aussi bien leur inspiration chez J.R.R Tolkien, Robert Howard voire Michael Moorcock.
Rien d’étonnant que le septième art se soit intéressé sur le phénomène et une première trilogie vit le jour au début des années 2000… pour un résultat catastrophique. On imaginait donc mal, suite à cet échec cuisant, qu’un nouveau long-métrage consacré à la franchise ne soit produit. Heureusement, l’émergence de la pop culture ou le regain de popularité du jeu instillé par la série Netflix Stranger Things ont sans doute incité Hasbro (propriétaire de la licence) et Paramount à collaborer pour proposer Donjons & Dragons : L’Honneur des voleurs, espérant par ce biais balayer le mauvais souvenir du film avec Jeremy Irons.

Le sourire du dragon
Afin de garantir la réussite de ce projet, le studio s’est adjugé les services de Jonathan Goldstein et de John Francis Daley dans l’optique de diriger l’entreprise, les deux hommes derrière le sympathique Game Night. Et, côté distribution, on retrouve les vétérans Chris Pine, Michelle Rodriguez, Hugh Grant et l’étoile montante Régé-Jean Page. Or cet ensemble assez hétéroclite a le mérite de fonctionner en grande partie grâce à l’orientation prise par le duo de cinéastes.
En lieu et place de livrer une lourde adaptation bourrée de compromis, Goldstein et Daley choisissent de coller au plus près du matériau d’origine sans verser non plus dans un fan service total (la mauvaise habitude hollywoodienne ces derniers temps). Surtout, ils affichent tout du long un véritable amour pour l’univers et ne le tournent pas en dérision, contrairement au long-métrage de 2000. À partir de ce postulat, ils appliquent une recette éprouvée pour de nombreux blockbusters, à savoir un cocktail d’humour (pas toujours très fin), de combats un tantinet débridés et de la sempiternelle rédemption à venir pour des brigands au grand cœur. Sur le papier, la formule n’a rien d’alléchant et promet un énième plat insipide.

Pourtant, en rattachant systématiquement la mise en scène des diverses situations, certes très convenue, aux différentes caractéristiques du monde de Donjons et Dragons, les réalisateurs insufflent une véritable personnalité à leur progéniture avec une certaine habileté à défaut d’élégance. Les initiés, mais également les profanes trouveront leur compte dans certains moments réjouissants de l’interrogatoire au cimetière à l’exploration de l’Underdark. Et dès lors, on pense à la formule gagnante utilisée par James Gunn sur le premier volet des Gardiens de la Galaxie et de nouveau déployée ici… pour un résultat un poil plus mitigé.
Mimétisme forcé
Les adeptes de Donjons et Dragons ont rencontré au moins une fois dans leurs parties le célèbre mimic, créature féroce qui prend l’apparence d’un coffre au trésor afin de piéger ses victimes. Or, Donjons & Dragons : L’Honneur des voleurs fait figure de mimic en reproduisant plus ou moins consciemment les schémas du film du MCU précité. La bande de losers magnifiques menée par Chris Pine n’a d’ailleurs rien à envier (ou tout à envier) à celle guidée par Chris Pratt. Un hasard, vraiment ? Si le cinéma aime répéter de manière naturelle sans cesse certaines itérations, il faut cependant reconnaitre que voguer sur une tendance gagnante peut permettre de s’attirer les faveurs du public, du moins pendant quelque temps. Et ici, la démarche de Jonathan Goldstein et de John Francis Daley n’a rien d’innocente. De fait, on ne peut ignorer cet aspect au moment de juger les plus petits détails et les défauts qui émanent de l’entreprise.

Or, on constate, hélas, que le procédé cher à Jame Gunn ne fonctionne dans ce cas uniquement parce qu’il épouse, certes avec harmonie, avec l’univers de Donjons et Dragons. Dépouillé du charme de cet univers, le long-métrage perdrait presque toute sa substance en dépit de quelques scènes bien troussées. Ainsi, les changements de forme animale incessants de la jeune druidesse au cours d’une poursuite échevelée doit bien plus aux caractéristiques spécifiques de Donjons et Dragons qu’au talent des cinéastes. Constat similaire concernant la direction du casting, leur prestation n’est comblée que par l’identification bicéphale aux Gardiens de la Galaxie et à celle des archétypes du jeu de rôle.
Néanmoins, il est légitime de se satisfaire du résultat. À défaut d’accoucher un classique instantané, Jonathan Goldstein et John Francis offrent un véritable petit plaisir coupable qui fait oublier sans peine les précédentes tentatives de porter Donjons et Dragons à l’écran des années deux mille. Et si l’on peut regretter l’abord fort minimaliste, l’absence d’une quelconque ambition mégalomaniaque rend le tout digeste et agréable.
Film américain de John Francis Daley et Jonathan Goldstein avec Chris Pine, Michelle Rodriguez, Hugh Grant. Durée 2h14. Sortie le 12 avril 2023
François Verstraete
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