Middlesex, Iowa, 1988. Donnie Darko adolescent mal dans sa peau et aux antécédents psychologiques douloureux fait la connaissance de Franck, lapin géant avec lequel il est le seul capable de communiquer. Une nuit, Franck l’intime de s’éloigner du domicile familial ce qui lui évite de trépasser durant un accident ubuesque. Franck lui annonce la fin imminente du monde et l’incite alors à des actions qui vont semer le désordre dans cette petite ville…

Sorti sur les écrans au début des années deux-mille, Donnie Darko a acquis au fil du temps le statut de film culte au sens propre du terme. Pourtant, il est délicat de parler de chef-d’œuvre pour le long-métrage de Richard Kelly. Cependant les influences qui l’imprègnent, ainsi que celles qu’il engendrera, notamment sur des cinéastes tels que Greg Araki ou encore David Robert Mitchell laissent à penser parfois qu’un procédé ostentatoire marque bien plus le spectateur qu’une mise en scène vraiment appropriée.

Bryan Singer en avait fait une brillante démonstration avec Usual Suspects, qui devait plus son succès à une construction narrative maligne plutôt qu’à une forme véritablement soignée. Voilà pourquoi quand on emploie le terme produit, Donnie Darko en incarne un en quelque sorte, miroir aux alouettes propre sur lui, mais moins révolutionnaire qu’il n’y paraît. S’il parvient à instiller une aura mystérieuse au sein d’un teen movie assez classique, il interpelle davantage qu’il fascine réellement.

Un air de fin du monde

Donnie Darko parle donc d’un adolescent introverti, évoluant au cœur de l’Amérique puritaine, avec les côtés nauséabonds sous-entendus qui vont de pair. Sa rencontre avec un obscur prophète de l’apocalypse, accoutré en lapin géant a de quoi dérouter. Pourtant son existence lui permet d’échapper à une mort certaine et de ne pas périr écrasé par un réacteur d’avion en perdition. Situation aberrante, personnages quelque peu incongrus si l’on peut dire. Toutefois, Kelly va malicieusement juxtaposer tous les éléments d’un puzzle labyrinthique, tantôt amenant à croire à la folie du jeune homme (comme par la suite les attitudes de l’entourage de Michael Shannon dans Take Shelter), tantôt entraînant le spectateur aux confins d’une énigme surnaturelle impossible à résoudre.

Cette atmosphère de l’étrange, Richard Kelly la puise aussi bien dans les récits de Philip K.Dick que dans la filmographie de David Lynch. Ce dernier s’appropriera le concept des lapins géants dans Inland Empire, quelques années plus tard. Cependant, la véritable trouvaille du cinéaste est d’entremêler l’univers absurde d’un Lynch ou d’un Dick avec le quotidien d’un lycée en pleine période reaganienne. La métaphore politique prend alors le dessus, Donnie Darko devient de fait le super-héros (Gretchen d’ailleurs lui fait remarquer que son nom renvoie à un personnage de comic book) apte à retourner un système pourri jusqu’à la moelle. Son sidekick chimérique lui ordonne progressivement des forfanteries afin de rétablir l’équilibre au sein de la communauté et d’en éliminer la gangrène. Ces passages oniriques sont l’occasion pour le protagoniste de s’évader d’un univers de cauchemar, celui de l’adolescence.

Apprentissage douloureux

Elle symbolise l’élément clé et s’insère au centre du film de Richard Kelly. Période où l’on tourne en rond comme dans une boucle temporelle sans fin, où l’on est souvent aussi bien victime que bourreau, elle est ici marquée par une arabesque de l’imaginaire visant à détourner à l’instant crucial le regard du spectateur. Cependant, les pulsions d’Éros et Thanatos n’ont rien de surnaturel, Donnie l’élu revient à la case départ pour mieux en finir.

La prouesse de Kelly opère ainsi pleinement dans cette chronologie du désespoir, déréglée par les artifices d’un illusionniste qui pose pourtant dès le début, les questions pertinentes. À ce petit jeu, Jake Gyllenhaal alors grand débutant à l’écran parvient à retranscrire sagacité, romantisme et nihilisme à la perfection. Quant à Richard Kelly, son propos fait mouche quand il filme au plus près des corps, valorisant avec soin, la disgrâce de ses personnages plutôt que l’énigme qu’il se plaît à construire… puis à déconstruire…

Les cinéphiles de tout poil se sont plus à percer les arcanes de 2001, Stalker, Persona, Mulholand Drive. Et certains fans s’évertuent à le faire avec Donnie Darko. Pourtant le secret du long métrage et sa réussite résident non pas dans un non-dit éculé, mais plutôt dans un discours limpide baigné dans le jeu d’une véritable mascarade (au premier sens du terme). Les uns trouveront le subterfuge artificiel, les autres, subtil. Quoi qu’il en soit, il est incontestable que le mécanisme est suffisamment bien huilé pour attiser autant de curiosité encore aujourd’hui.

Film américain de Richard Kelly avec Jake Gyllenhaal, Maggie Gyllenhaal, Jena Malone, Drew Barrymore. 2002. Sortie en version restaurée le 24 juillet 2019. Durée 1h53

François Verstraete

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