1480. Vladimir vainc les Ottomans, mais perd son épouse durant cette bataille. Rongé par la douleur, il renie Dieu. Pour le punir, ce dernier le condamne à errer sur terre éternellement, sous une forme éminemment maléfique, Dracula. Et Dracula compte bien profiter de sa longévité exceptionnelle pour retrouver son amour réincarné quelque part.

Le septième art peut-il encore apporter une quelconque pierre à l’édifice de Bram Stocker. Il faut reconnaître que Dracula a été abordé sous tous les angles, expressionniste par le travail de Friedrich Murnau (Nosferatu), gothique à travers le regard de la Hammer, comique grâce à Mel Brooks (Dracula, mort et heureux de l’être) ou baroque via l’entreprise titanesque et malade de Francis Ford Coppola. Et quand on imagine le sujet clos pour de bon, il y a souvent un candidat prêt à redéfinir le mythe. Robert Eggers s’y est essayé sans succès en proposant un remake de Nosferatu et c’est désormais Luc Besson qui transpose le célèbre roman dans la France du dix-neuvième siècle.

Un repas bien familier

Tout comme le vampire, le réalisateur semble immortel et s’obstine malgré les échecs (Valérian, Dogman). Il s’entête et se voit toujours comme le sauveur du cinéma hexagonal, auteur populaire dans le premier sens du terme, ennemi de la critique et du bon goût. Pourtant, les récents revers en salle ont sérieusement affecté sa crédibilité, voire sa notoriété et il serait sans doute judicieux qu’il se retire pour une durée indéterminée… Néanmoins, il s’obstine dans sa quête d’un absolu inexistant qui vire sur l’autoroute de l’enfer formel.

Certes, son fameux statut d’auteur s’avère indéniable, excepté qu’il ne dispose pas des qualités pour valoriser ses créations. Voilà pourquoi, s’attaquer à l’ouvrage de Bram Stocker relève d’une mission impossible, digne des incongruités accomplies par Tom Cruise. Et si on ne lui reprochera pas les écarts adoptés avec le roman original, adaptation oblige, on regrettera en revanche l’ensemble des techniques superfétatoires employées ici, typiques de son style, insupportables à souhait.

Place aux jeux

Poème frelaté

Les premières minutes du long-métrage confirment aussi bien l’ambition de Luc Besson que son manque de savoir-faire évident, incontestable. On comprend d’emblée qu’il souhaite articuler son récit autour d’une romance maudite, respectant de fait, la volonté de Bram Stocker. Hélas, il se complaît dans une présentation stéréotypée de ses deux amants, avec leurs jeux, leurs élans de tendresse et leurs ébats, rythmés par une musique pompière. Et les maigres talents poétiques du réalisateur (dans la veine d’un élève de l’école primaire) sont insuffisants pour transcrire la vision désirée.

Luc Besson clame ses vers à voix haute, sans inspiration ni souci de la métaphore, englué dans son incapacité chronique à s’affranchir de ses faiblesses. Il essaie, s’époumone en pure perte, essaime quelques idées pour mieux se perdre ensuite. Quelque magie se dégage par intermittence, mais elle s’évapore trop vite. L’inconstance et le recours à la grandiloquence nuisent gravement à la mise en place d’une authentique identité. Pis encore, le cinéaste détruit les quelques concepts intéressants avec un effarant cynisme et se vautre dans le grotesque.

Deuil

Ridicule non assumé

Ainsi, à force de tirer sur la corde du n’importe quoi, Dracula sombre dans un gouffre sans fin, hanté par le ridicule des actes de son guide. Le film souffre d’une absence totale d’équilibre de ton, en raison d’un excès de sérieux ou d’une surenchère dans l’outrance visuelle. Luc Besson cherche à imprégner les esprits et son œuvre par une audace graphique et des tirades ampoulées. La catastrophe ne tarde pas à se profiler, tant cette démarche aboutit à un résultat désolant et même carrément gênant. La comparaison avec les autres transpositions du roman éponyme se heurte à un constat accablant.

Rien ne va bien que Luc Besson, comme à son accoutumée, paraît sincère quand il déploie d’incommensurables efforts, pour se différencier de ses prédécesseurs. Hélas, il échoue à instiller une authentique saveur à son dispositif mélodramatique et il le décrédibilise tant les images et les mots ne se marient jamais avec harmonie. Les situations montrées, souvent risibles, ne concordent pas avec la gravité des propos. On s’amuse même pendant les rares scènes mythiques reproduites, tel que le fameux dîner entre Jonathan Harker et le comte.

Vade retro…

Et le point de non-retour est atteint avec le principe du parfum, supplantant les pouvoirs hypnotiques attribués habituellement au vampire. Cette substitution, accrocheuse sur le papier, ne sert qu’à promouvoir un placement de produit peu subtil, d’autant plus qu’il renvoie à une célèbre publicité pour déodorant des années deux mille. Les passages concernés consterneront le spectateur le plus tolérant et on déplorera leur présence alors qu’ils s’insèrent dans une balade temporelle bienvenue, l’un des rares éléments à sauver de ce naufrage.

Sans structure

Le voyage à travers les époques, bien qu’engoncé dans une triste standardisation, permettrait presque au long-métrage d’émerger avec sa reconstitution efficace, à défaut d’être soignée. Et s’il enfonce des portes ouvertes quand il surligne cette histoire d’amour pérenne survivant à un périple séculaire, il s’impose comme un moteur de fortune, au cours d’un dialogue entre le comte et sa future victime. En outre, ancrer l’intrigue au cœur de l’Exposition Universelle parisienne (même si elle est réduit à un ersatz de gigantesque fête foraine) séduit et offre un aparté quasi lumineux aux protagonistes.

Je vous renie

Ce maigre aspect positif ne saurait toutefois occulter des lacunes structurelles flagrantes et les scènes s’enchaînent, sans cohésion ni planification. Certaines durent plus que raison tandis que d’autres mériteraient davantage de développement. Le réalisateur ne parvient jamais à étoffer correctement son fil conducteur et il ignorerait presque comment insuffler du caractère à sa narration. Il égare le public et le tout se mute en chaos informe. Dès lors, la plus grande faiblesse de Luc Besson se dessine ; en sus de ses piètres qualités d’écriture, s’ajoute depuis quelques films, une incapacité à endosser son costume de conteur.

Voilà pourquoi Dracula conforte Luc Besson dans son fauteuil d’artisan raté et maladroit. Toutefois, peu importe puisqu’il persiste et signe, contre vents et marées, avec une foi indéfectible dans sa bonne étoile qui le préserve d’une chute définitive. Quel chanceux !

Film français de Luc Besson avec Caleb Landry Jones, Christoph Waltz, Zoë Bleu Sidel. Durée 2h09. Sortie le 30 juillet 2025

L’avis de Mathis Bailleul : Grotesque, con, cheap, tels sont les adjectifs qui décrivent le deuxième film de Luc Besson sorti cette année car si June & John a été bazardé sur les plateformes dans l’indifférence générale et le plus grand anonymat, malheureusement pour nous, ce Dracula vampirise nos cinémas.

François Verstraete

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