Politicien respecté, Manuel Lopez Vidal s’apprête à intégrer la direction nationale de son parti. Pourtant, sa vie vire rapidement au cauchemar quand un scandale éclate au grand jour, dévoilant ses pratiques frauduleuses. Refusant le rôle de bouc émissaire idéal, il va s’en prendre alors à ses anciens partenaires…

Soroyogen expose son long-métrage par un plan séquence que certains jugeront si ce n’est putassier, du moins prétentieux, voire inapproprié. Cependant sa conclusion lors d’un banquet policé où les bonnes manières dissimulent les outrances indicibles des protagonistes annonce la plongée du spectateur dans les abymes sans fin d’un système en déliquescence.

Après un premier essai transformé par le polar habile et oppressant Que Dios nos perdone, Rodrigo Sorogyen revient derrière la caméra pour afficher sans fards ni fausse pudeur les travers des rouages politiques espagnols. Affolé par les différentes affaires de corruption qui ont chamboulé le pays, le cinéaste désire à présent s’épancher sur les tenants et aboutissants d’un sempiternel problème. Pourtant, le réalisateur ne s’attarde point à décrypter complots et machinations financières, cela l’importe peu, de même que décrédibiliser ou juger des institutions.

Le mal est parmi nous

Comme pour son premier long-métrage, seul son protagoniste compte , son attitude à l’encontre des volte-face de son environnement et sa lutte pour ne pas descendre aux enfers. Dans ce jeu de dupes, point d’innocent, uniquement quelques egos démesurés qui se sont égarés sans bonne ni mauvaise intention, juste quelques porteurs de velléités individuelles bien loin des préoccupations de ceux qui leurs sont chers

Les criminels se sont bien eux qui s’écharpent tels des loups après avoir festoyé quelque temps auparavant. La caméra se resserre alors pour davantage mettre en exergue paranoïa et obsession d’un être qui va tout perdre rapidement, à l’image du rythme d’une action menée tambour battant, ne laissant aucun répit au spectateur dans une première partie où les masques tombent et les murs s’effondrent. Les langues se délient non pas pour faire éclater la vérité, mais pour mieux la travestir et se protéger.

Au beau milieu de ce marasme, Antonio De La Torre interprète à merveille ce ripou trahi par les siens, loin d’être sympathique, mais affublé de faiblesses bien humaines. Pour preuve cette scène où la directrice du parti l’interroge sur ses ambitions, désirant comprendre les raisons qui l’ont poussé au bord du gouffre. S’ensuit alors des répliques plus égocentriques les unes que les autres, laissant sur le carreau les intentions que tous attendent, aimeraient entendre, mais qui n’existent pas ou plus.

Un style à part

En évitant les écueils des clichés pour mieux inoculer le doute, le réalisateur distille savamment ses arguments, à mots couverts sans tomber dans une fable moralisatrice si tentante, si aisée. Quand les palabres n’ont plus cours et que la période du négoce s’achève vient le celui de la cruauté d’une guerre sibylline qui va crescendo dans la violence. De l’évocation d’un accident mortel, Sorogoyen passe à une succession d’événements improbables et surtout à la limite de l’absurde.

Le temps se dilate alors comme aux meilleures heures de Huston ou Scorsese. Il y a en premier lieu cette scène de casse dans une villa bourgeoise transformée en squat où les menaces et le chantage prennent le pas sur la violence purement physique. Puis survient une ambiance plus héritée des westerns que du polar, d’abord par une course poursuite sur l’autoroute qui se mue en duel sans éclairage pour s’achever par un face à face cinglant sur un plateau télévisé durant lequel chaque répartie blesse bien plus qu’une balle.

Après Que dios nos perdone, Sorogoyen poursuit son portrait d’une Espagne contemporaine toujours à travers le prisme de personnages retors, amoraux, asociaux. Ne s’engluant jamais dans une lutte globale pour le changement, le cinéaste adopte à contrario de bon nombre d’essais politiques la forme du film de genre pour mieux souligner le caractère de son œuvre. Il signe ainsi un brillant long-métrage de gangsters si loin et si proche des standards usuels cherchant la surprise plus par l’attitude que par le résultat.

Film espagnol de Rodrigo Sorogoyen avec Antonio de la Torre, Monica Lopez, Josep Maria Pou. Durée 2h11. Sortie le 17 avril 2019.

François Verstraete

Share this content: