Thibaut mène une formidable carrière de chef d’orchestre international, jusqu’au jour où on lui décèle une leucémie. En recherche d’un donneur de moelle compatible, il découvre brutalement qu’il a été adopté ainsi que l’existence cachée d’un frère, Jimmy. Il ne va pas tarder à nouer une relation très forte avec ce dernier, avec comme vecteur commun, la musique et regrette leur séparation forcée.
La production française et le public hexagonal affectionnent les feel good movies, du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain à Intouchables en passant par Les Choristes. Ces œuvres ont rassemblé les suffrages en termes de box-office et ont masqué leurs carences par des effets ostentatoires racoleurs, saupoudrés de guimauve à la limite du supportable. Et, si elles ont eu le mérite d’attirer le spectateur en salles, elles n’ont pas honoré en revanche le septième art par leur subtilité. Voilà pourquoi l’arrivée tonitruante d’En fanfare (c’est de circonstance) avait de quoi inquiéter ; loué lors du dernier Festival de Cannes, le nouveau film d’Emmanuel Courcol débarque pour faire rire puis pleurer dans les chaumières, avec tous les artifices liés au genre.
Et pour reprendre les propos de Jimmy, avec sa tête de premier de la classe, il a tout pour réussir, né sous une bonne étoile et promu à grand renfort de qualificatifs hyperboliques. Bref, rien de bien séduisant, surtout lorsque l’on recherche un peu de nuance et de retenue dans une mise en scène de plus en plus formatée aujourd’hui. Pourtant, très vite, le réalisateur prouve à l’occasion de son troisième travail, qu’il s’avère apte à transcender son sujet avec une finesse inattendue et une posture classique bienvenue.
On choisit pas ses parents…
Le postulat du film renvoie quelque part à Maxime Le Forestier, quand ce dernier chantait qu’on ne choisissait pas sa famille ou déclarait sa flamme à un frère qu’il n’avait jamais eu. Ces paroles se superposent d’une manière limpide avec un scénario presque convenu de prime abord et une approche propice aux turpitudes émotionnelles courues d’avance. Toutefois, alors qu’Emmanuel Courcol pourrait façonner son édifice avec du toc et des matériaux bon marché, tout prête à la crédibilité, comme si un sentiment de vécu amplifiait l’amabilité de son projet. Le cinéaste préfère raccorder les différents éléments par des connections invisibles et offre des sorties de route, à son script ciselé.
En effet, il dépasse les limites de l’envisageable, du fameux ce qui aurait pu ou dû être, pour mieux dresser le portrait de ces deux frères liés par le sang et la musique, mais pas par une histoire commune. Deux individus opposés dans leur éducation, dans leur sort, dans leur destin et dans la réalité de leur quotidien. Thibaut, voyageur émérite, ignore tout cependant de la province, de sa situation économique désastreuse, de ses habitants et un mode de vie totalement étranger. Au-delà de la culpabilité éprouvée et de la rancune larvée envers ceux qui l’ont séparé de son cadet, tout n’est que prétexte pour recommencer et réparer ce qui a été fait.
Et dès que le réalisateur s’attèle à présenter la tâche herculéenne de son protagoniste, il opte pour un traitement en dehors des attentes et des clichés, les événements s’ensuivent et sont contraires aux prédictions. L’objectif n’est pas initiatique ici, mais de fédérer deux mondes, deux univers qui auraient dû se croiser bien plus tôt. Une chose loin d’être aisée quand les préjugés de l’un et de l’autre ou les espoirs totalement fous se heurtent à l’échec, la violence, le remords ou l’entêtement. Emmanuel Courcol ne vient pas en sauveur, mais il est conscient que la reproduction des élites nuit à l’ascension sociale et que tout finit par disparaître en fumée. Quitte à choquer !
Des mots et des notes
Par conséquent, la musique ne constitue pas, dans le cas présent, une échappatoire à sa propre condition, un moyen d’émancipation. Le metteur en scène écarte cette possibilité à chaque tentative, avec l’intelligence qui le caractérise et s’affranchit de fait d’une conclusion balisée. Concours, concert ou audition, rien de tout cela ne parviendra à empêcher l’inéluctable, ce qui n’ôte pas néanmoins la facette charmante, réjouissante de ce dispositif, mis au service d’un duo d’interprètes brillants, ne versant jamais dans le numéro putassier.
En accouchant d’un exercice autant maîtrisé, les acteurs se conforment à l’unique langage du long-métrage, celui qui permet à cette fratrie de communiquer, à savoir quelques notes de Verdi ou de Ravel, des morceaux de jazz ou une chanson de Dalida. S’ils n’ont pas pratiqué leur don inné d’une façon identique, Jimmy et Thibaut l’utilisent désormais pour échanger, partager, transmettre des sentiments qu’ils avaient jusque là négligés, oubliés, balayés, à cause des souffrances endurées ou d’une surcharge de travail. Avec en point d’orgue un final aussi intense qu’élégant.
Et c’est parce qu’il refuse une démonstration outrancière, au lyrisme exacerbé qu’Emmanuel Courcol remporte son pari. En instillant un équilibre entre drame et comédie, il insuffle un air authentique à l’ensemble et touche en plein cœur, sans pour autant s’épancher plus que de raison. Une leçon que certains devraient appliquer plus souvent.
Film français d’Emmanuel Courcol avec Benjamin Lavernhe, Pierre Lottin, Sarah Suco. Durée 1h40. Sortie le 27 novembre 2011
François Verstraete
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