Pilote d’essai et ingénieur talentueux, Neil Armstrong se voit déconsidéré par ses pairs à la base Edwards. Marqué à jamais par le décès brutal de sa fille, il rejoint la Nasa et tente, malgré les risques, une formation d’astronaute pour devenir peut-être le premier homme à marcher sur la Lune. Il devra pour ce faire aussi bien vaincre les obstacles de son époque que ses démons intérieurs et préserver ainsi sa famille.

Une année 1961, imprégnée autant par un discours présidentiel que par le vol d’essai raté d’un pilote surdoué. Huit ans plus tard, ces événements feront encore échos aux oreilles d’un individu qui aura changé l’Histoire du monde. Entretemps, sa route sera jonchée de sueur, de sang et de larmes. Il aura payé sa propre réussite avec les contreparties les plus effroyables qui soient. Bienvenue dans l’une des épopées les plus marquantes du vingtième siècle.

Pour l’amour de la hard science

Ces dernières années, le grand écran a vu resurgir l’intérêt du public et des critiques pour les longs-métrages de hard science avec les succès de Gravity, Interstellar ou Seul sur Mars. Paradoxalement, les films sur la conquête spatiale ne sont point légion au sein du paysage, et seules les tentatives de Ron Howard ( Apollo 13) et de Philip Kauffman (L’Étoffe des héros) ont passé l’épreuve du temps. C’est aujourd’hui au tour de Damien Chazelle de s’essayer à ce délicat exercice en adaptant l’ouvrage de James Hansen, qui s’était lié d’amitié avec Neil Armstrong durant les ultimes années de sa vie.

Projet initialement prévu pour Clint Eastwood dans la lignée de ses biopics sur les héros américains, c’est finalement au jeune cinéaste que beaucoup qualifient de prodige qu’échoit l’entreprise. Pour celui connu plutôt pour ses travaux musicaux, Whiplash et La La Land, le long-métrage fait figure de virement à cent quatre-vingts degrés tant il semble en retrait de son univers de prédilection. Pourtant, Chazelle possède un profil bien plus éclectique, on est ainsi loin d’imaginer qu’il a aussi officié en qualité de scénariste pour des films d’horreur !!!

Si j’avais les ailes d’un ange

Avec First Man, il retrouve Ryan Gosling et nous entraîne non seulement dans une odyssée spatiale, mais également humaine, qui n’est pas sans rappeler le traitement de Philip Kauffman il y a plus de trente ans sur un sujet similaire. Entre archives légèrement modifiées, moments anxiogènes dans le cockpit et angoisse des proches, le cinéaste tisse une reconstitution minutieuse, nantie d’une atmosphère sous haute tension.

Dans son entreprise, Damien Chazelle n’élude rien de l’ambiance explosive du contexte. Course contre la montre et contre les Russes, montée contestataire populaire liée à un climat social difficile et à la guerre du Viêt-Nam, non il n’omet rien d’une période où la conquête de la Lune éclipsait les problèmes quotidiens et symbolisait plus que jamais plus que le Rêve américain, l’ambition de l’Homme ou d’un homme rejoignant la figure mythique d’Icare, quitte à se brûler les ailes. La tragédie grecque prête à frapper à tout moment comme l’évoque Claire Foy et bien sûr avec le drame de 1967.

Tout du long, Chazelle donne libre cours à un numéro d’équilibriste entre la peur de l’au-delà et celle incarnée par le foyer. Refusant les plans larges spectaculaires, il s’attache plutôt à l’attente, si bien gérée, le compte à rebours qui s’éternise, et aux corps impatients, anxieux, parfois paniqués et souvent véhicules d’un héroïsme d’une autre époque, celle des premiers pionniers. La caméra se resserre alors, pour donner une vision de la planète si petite qu’elle contraste avec les prises de vue traditionnelles qu’il nous est habitué de contempler régulièrement. Et quand le champ de l’objectif s’accroît, ce n’est que pour mieux admirer les grands espaces silencieux d’un faux Eldorado.

Entre autisme et résilience

En outre, tout l’intérêt de First Man transpire dans la personnalité de Neil Armstrong, dont le caractère sied si bien au cinéma de Damien Chazelle. À l’instar des protagonistes de Whiplash et de La La Land, Armstrong incarne cette obsession mélancolique si chère au metteur en scène. Armstrong ne vit que pour un but, hanté par une perte inconsolable et une promesse intérieure de prime abord, intenable. Autiste par moments, tant sa quête frise la psychose, peu arrivent à le sortir de cette torpeur perpétuelle, ce malaise qui met en péril ses liens qui lui sont pourtant si importants.

La scène où il doit faire ses adieux à ses jeunes fils et où il s’entretient avec eux comme avec la presse est éloquente à ce sujet, tant le cynisme transpire à chaque plan tandis que les personnages à fleur de peau, peinent à s’extérioriser. Néanmoins, Chazelle décline son récit au-delà de l’exploit pour mieux conter une histoire d’amour à la fois singulière et à l’image des autres, celle d’un couple qui se cherche après avoir tout perdu.

Plus qu’un biopic, First man entretient l’héritage de Philip Kauffman, valorisant la pugnacité d’un héros moderne contre les éléments, dans un projet contre nature, qui fera de lui non pas un parangon de vertu, mais un chantre de l’ascension. Plus encore, il rappelle comment une aventure est non seulement capable de rassembler l’espace d’un instant les peuples, mais aussi unir, contre vents et marées, un homme et une femme dont les sentiments vacillent, mais ne se désagrègent pas au final.

Film américain de Damien Chazelle avec Ryan Gosling, Claire Foy. Durée 2h22. Sortie le 17 octobre 2018

François Verstraete

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