La suite de Fuis-moi je te suis. Tsuji a choisi finalement d’épouser sa collègue de travail et d’oublier Ukiyo pour de bon… le temps passe. Cette fois c’est désormais Ukiyo qui se met à poursuivre Tsuji tandis que ce dernier ne cesse de filer à l’anglaise…

Tsuji dépose Ukiyo devant son domicile conjugal. Deux passantes croisent la jeune femme désabusée et semblent commenter à voix basse son retour au foyer. Une manière élégante pour le cinéaste de traiter en quelques secondes à peine le poids de la réputation, de ce fameux code de conduite honorable qui régit les mœurs de l’archipel nippon.

Une scène qui résume à elle seule tous les éléments qui structurent le récit, ce depuis les toutes premières minutes du diptyque (imposé en fait en France par le distributeur) : l’humiliation, l’indécision et cet antagonisme classique attraction-répulsion. Kôji Fukada continue de tirer délicatement les ficelles de ce mélodrame teinté de film noir (ah la référence à Chandler/Hawks) et s’amuse avec les nerfs et surtout les sentiments de ses protagonistes.

Être une femme au Japon

Dans cette seconde partie, Kôji Fukada s’exerce au chiasme en inversant habilement les positions et situations. Tsuji endosse le rôle du conjoint éconduit et connaîtra d’ailleurs la même déchéance sociale que celle qu’il aime, expérimentant de cette façon tous les facteurs pervers qui ont incité Ukiyo sa perte. Ukiyo quant à elle, passe d’un état de dépendance au statut d’ange gardien. Comme si cette fois Eurydice ramenait Orphée des enfers. Et c’est bel et bien le mythe d’Orphée qui sert de socle narratif aussi bien au manga original qu’à l’adaptation de Kôji Fukada. Difficile alors de ne pas associer à cette inspiration les paroles prophétiques d’un yakusa amer.

À partir de ce postulat, le réalisateur déploie son dispositif émotionnel en piégeant ses personnages dans un cercle vicieux dont ils semblent incapables de s’extirper. Relation toxique ou non, les lois de l’attraction-répulsion unissent et brisent les couples au fur et à mesure du temps. L’homme, responsable en général du malheur, est présenté comme lâche, impotent, indigne aussi bien des femmes qui le convoitent que du talent inné qu’il gaspille inlassablement. Le cinéaste bouleverse au coup par coup par l’intermédiaire de scènes fugaces. Le désespoir accable les uns et les autres à l’instar de cette fiancée délaissée prête à lacérer l’objet de son désir. Ou encore cette image forte, celle d’Ukiyo contemplant, avec mélancolie, dans le rétroviseur, son ancien époux agenouillé alors que la voiture s’éloigne inexorablement.

En outre, derrière cette mécanique bien huilée, Kôji Fukada dévoile sa véritable ambition, celle qui justifie son choix de porter à l’écran le manga de Mochiru Hoshisato. En effet, le cinéaste s’attarde sur le sort réservé aux femmes de son pays, considérées comme des citoyennes de seconde zone, dont les désirs passent le plus souvent au second plan et qui doivent davantage que leurs homologues du sexe opposé, circonvenir à ce fameux code de conduite qui régit la société de l’archipel. Ici, les humiliations, les mauvais traitements infligés par les hommes revêtent des formes diverses de la séquestration à la trahison, causés par sadisme ou par couardise. Fukada en profite ainsi pour dresser trois magnifiques portraits, portrait de femmes tenaces, au parcours initiatique jonché de cahots en tout genre, divisées puis unies dans l’adversité.

Et dans ce jeu de destins superposés et superposables, tout suggère à un retour aux sources, là où tout a commencé et où tout s’achèvera. On peut alors à juste titre reprocher une certaine facilité intellectuelle dans cette démarche empreinte de mimétismes situationnels. Pourtant, en plaçant sa foi dans des vertus humanistes, Fukada redonne espoir et insuffle à son diptyque une sincérité revigorante derrière l’austérité ambiante.

Film japonais de Kôji Fukada avec Win Morisaki, Kaho Tsuchimura, Shosei Uno. Durée 1h49. Sortie le 18 mai 2022.

François Verstraete

Share this content: