Seize ans après les événements du premier volet, Lucius, petit-fils de Marc-Aurèle, rentre de force à Rome après avoir été arraché à la cité qui l’a recueilli jadis. Désormais gladiateur, il va devenir le jouet de diverses forces politiques, bien décidées à l’utiliser dans la conquête du pouvoir.

Il y a un an, Ridley Scott divisait public et critiques avec son biopic consacré à Napoléon. Entaché de multiples erreurs historiques, le film corroborait surtout le déclin du metteur en scène amorcé depuis un moment. Si son ambition demeure intacte, son savoir-faire s’est grandement étiolé tandis que sa volonté de s’attaquer à plusieurs épopées classiques s’est heurtée à une vision de l’Histoire totalement en dehors de la réalité. Certes, des libertés même grossières sont acceptables, mais comment justifier alors sa perception des faits, tout à fait véridique selon lui (avec le douloureux souvenir de Robien des Bois par exemple).

Cette approche très dangereuse est née du succès de Gladiator, péplum assez efficace et objet culte, porté par un Russel Crowe en état de grâce. Le long-métrage hissa le réalisateur et son comédien sur le toit d’Hollywood, les couronnant au passage avec les Oscars du Meilleur Film et Acteur. Ce triomphe camoufla de fait les nombreux écueils relatifs à la retranscription de la Rome Antique, dont Ridley Scott revendiquait la précision et l’exactitude… afin de servir son allégorie politique. Le début à l’époque d’une méthode pas très honnête. Heureusement, cela n’atténuait pas les séquences spectaculaires de l’ensemble ni le sentiment réjouissant qui en émanait.

En revanche, l’annonce de sa suite générait quelques inquiétudes entre gestation du scénario, accumulation du retard et explosion du budget. En outre, ce n’est point la première fois que le cinéaste revient sur une œuvre qui fit sa gloire. Et la précédente expérience fut loin de rassembler tous les suffrages, puisque son retour sur la saga Alien avec Prometheus et Alien : Covenant s’est avéré particulièrement calamiteux. On pouvait donc s’interroger sur la pertinence de ce Gladiator II, amputé de son principal atout, à savoir Russel Crowe/Maximus.

Un regard critique

Un héritage trop lourd à porter

Et très vite, les craintes le concernant se confirment, tant l’ombre de son prédécesseur plane sur lui et que l’absence de Russel Crowe nuit à cet opus. Paul Mescal a beau se démener, il ne parvient jamais à égaler son aîné aussi bien dans la composition que dans la présence, accouchant d’une prestation terne et sans relief. Quant à Denzel Washington, il exécute un numéro en roue libre, rejoint sur ce point par Connie Nielsen tandis que les interprètes des jumeaux fous, héritiers de Septime Sévère, s’appliquent à caricaturer à l’extrême leurs personnages.

Or, d’héritage, il en est lourdement question dans Gladiator II, tant Ridley Scott insiste et surligne l’élément principal de son dispositif. En effet, son fil conducteur repose sur la manière dont Lucius va endosser la charge imposée à Maximus par le passé. Par conséquent, un parallèle étrange s’opère naturellement puisque toute cette interrogation concerne aussi bien la comparaison entre Paul Mescal et Russel Crowe ainsi que celle entre les deux longs-métrages. Doit-on remettre en cause la légitimité des uns ou des autres et les successeurs honorent-ils leurs illustres modèles ? Et la réponse qui en découle ne plaide en rien en la faveur de l’entreprise, tant elle ne se distingue jamais de la simple copie, ajustée avec des enjeux plus contemporains.

Pedro Pascal en action

De la chute de l’Empire romain…

Ainsi Ridley Scott ne réussit jamais à réitérer sa performance d’antan, la faute en incombe à un découpage scénaristique chaotique et d’une narration décousue à souhait. Gladiator ne souffrait pas d’un tel défaut, car il s’appuyait en majeure partie sur le travail d’Anthony Mann et de sa Chute de l’Empire romain. Si le film du maître n’était pas exempt lui aussi de lacunes, il bénéficiait toutefois d’une structure et d’une écriture solides, inhérentes au classicisme de la fabuleuse période hollywoodienne.

De fait Ridley Scott, de par cette filiation, relatait son récit avec fluidité et cohérence. On suivait la trajectoire de Maximus avec attention, de ses exploits en tant que général à ses combats dans l’amphithéâtre pour terminer avec son statut de guide rebelle. La mécanique était alors bien huilée et fonctionnait parfaitement tandis que les affrontements dans l’arène convainquaient tant par leur inventivité que par la façon dont ils valorisaient Russel Crowe. Et le score d’Hans Zimmer injectait davantage de souffle épique dans ces séquences héroïques.

Tout le contraire de Gladiator II, le long-métrage cherche sa propre identité au-delà de ce fameux héritage. Il essaie de se réapproprier la formule gagnante, en vain, à commencer par les joutes dans un Colisée surpeuplé. Désormais, les assauts manquent de percussion et la rage évoquée par Denzel Washington se réduit à la morsure du protagoniste sur un singe. Si plus de moyens ont été engagés qu’à l’époque de Gladiator, le résultat ne se voit guère, dépourvu d’imagination et de lisibilité. Sur cet aspect, la palme est décrochée par la scène de reconstitution de bataille navale qui renvoie à celle opposant Romains et l’armée d’Hannibal dans le premier volet. Aucune spontanéité ne surgit durant ces quelques minutes et l’ennui nous gagne tandis que l’action est l’écran manque terriblement d’impact. Seul les machinations dans les coulisses importent au cinéaste, puisqu’il désire avant tout offrir une pseudo fable politique.

Connie Nielsen de retour

Au déclin de l’Empire américain

Ici, l’analogie entre le rêve américain et celui de Marc Aurèle s’avère évidente. Ridley Scott profite de l’occasion pour tirer à boulets rouges sur un système dévoyé qui favorise le plus fort, le plus riche et le plus déloyal. Comme l’explique Denzel Washington dans le film, on ne devient pas empereur par le sang, mais par la brutalité. Cette réflexion s’étend aux élus de notre temps puisqu’ils abusent de leur position pour opprimer le peuple et achètent quelque part leur accès au pouvoir. D’ailleurs, le personnage de Macrinus s’impose en caricature à peine exagérée de Donald Trump, dans ses excès et sa conduite.

Néanmoins, on regrette la pesanteur métaphorique déployée, désincarnée, dénuée de la moindre finesse. Qu’est devenu le poète de Blade Runner ou le faiseur de mythes d’Alien, le huitième passager ?  En outre, sa critique sociétale est ici discréditée en partie par son fameux manque de rigueur intellectuelle. Comment fustiger le patriarcat en montrant des femmes votant au sénat (elles en étaient bien entendu exclues) ? Dans le cas présent, l’erreur ou la soif d’inclusivité ne plaide pas en faveur d’un pamphlet louable sur le fond, mais inepte sur la forme.

Voilà pourquoi Ridley Scott rate son rendez-vous avec l’Histoire (et c’est le cas de le dire) en proposant un Gladiator II sans saveur ni éclat, à l’instar d’un Prometheus ou d’un Alien : Covenant. Son seul mérite, ne pas se vautrer dans une bêtise crasse comme ce dernier… mais c’est un maigre lot de consolation.

Film américain de Ridley Scott avec Paul Mescal, Pedro pascal, Denzel Washington. Durée 2h30. Sortie le 13 novembre 2024

L’avis de Mathis Bailleul : Desservi par sa propre mythologie, des tropes tenaces, ce récit rushé et une ambition maladroite, Gladiator IIreste toutefois pertinent en 2024, rêvant d’une utopie où le peuple s’affranchit des tyrans. Le tout dans un blockbuster parfois too much, mais surtout généreux.

François Verstraete

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