1953. États-Unis. Le sénateur McCarthy mène d’une main de fer une purge au sein de la société, organisant une véritable chasse aux sorcières afin de lutter contre les sympathisants communistes. Lassés par ses méthodes brutales, le présentateur vedette de CBS, Edward R. Murrow et son producteur, Fred Friendly vont s’opposer à sa croisade inique…

N’en déplaise à Quentin Tarantino, George Clooney peut se targuer d’une carrière d’envergure, ponctuée notamment par ses multiples collaborations avec Steven Soderbergh et les frères Cohen ainsi que par plusieurs fulgurances au cours des années deux-mille (The Descendants, Syriana). Et il ne faut pas reléguer au second plan son travail derrière la caméra, couronné par son impressionnant pamphlet, Good Night, and Good Luck. en 2006.

Alors que les États-Unis sont englués dans la guerre contre le terrorisme et la traque de Ben Laden suite aux attentats du 11 septembre 2001, et tandis que le Patriot Act autorise des méthodes d’investigation répréhensibles, George Clooney tire à boulets rouges sur les rouages d’une administration adepte d’une politique fondée sur l’oppression. Pour ce faire, il déploie la plus belle machine à remonter le temps, à savoir le cinéma et revient sur une période trouble de l’Amérique, dévorée par des démons qui ont toujours une emprise sur nos sociétés aujourd’hui.

Chasse aux sorcières

Pays de toutes les contradictions, étendard autoproclamé de la liberté dans le monde, les États-Unis ont connu depuis leur création, une politique paradoxale, entre respect des valeurs affichées et violation en règle des règlements en vigueur. Et les temps de crise ont accentué la perte des droits fondamentaux pour une partie de la population. Ainsi, bien avant l’avènement du maccarthysme, le gouvernement n’avait pas hésité à parquer les ressortissants d’origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale.

La paranoïa aigüe s’était déjà emparée des esprits des dirigeants et elle perdurera pendant la Guerre froide, époque propice aux soupçons de toute sorte, surtout après le procès pour espionnage des époux Rosenberg. Par conséquent chacun doute de la loyauté de son voisin tandis que les dénonciations pullulent et les jugements hâtifs sans preuve condamnent des individus, sur la foi des accusations basées sur la peur, la rancœur ou tout simplement l’ignorance.

Et que dire de la présomption d’innocence, bafouée au grand dam de William Wellman (ah L’Étrange incident) ? George Clooney choisit de reconstituer ce contexte oppressant à travers le combat d’un journaliste encore probe, au sein d’une des plus grandes rédactions du pays. Il mène la bataille à coups de mots d’esprit bien placés dans une émission oscillant pourtant entre talk-shows par moments et authentique vecteur d’information réfléchi. D’ailleurs, il souligne ce contraste à l’occasion d’une entame de discours corrosif dont il a le secret. Il donne alors le ton à l’ensemble du long-métrage.

Panem et circenses

Ainsi, une partie de l’avenir de la nation va se jouer dans les bureaux d’une énorme chaine de télévision ou dans l’espace feutré d’un bar jazzy. Quel que soit le lieu, Murrow lance un cri d’alarme qui résonne encore aujourd’hui, telle une voix discordante visionnaire issue du passé pour avertir le chaland que le petit écran distrait, mais isole et abêtit. Il faut préciser qu’en sus du contexte évoqué par le metteur en scène (les années cinquante voient les programmes de divertissement abonder), que le long-métrage lui-même est sorti au moment où la télé-réalité est devenue la reine de l’audimat.

Les propos de Murrow reflètent de fait, les temps à venir et le portrait brossé s’avère déplaisant. Et ce constat amer s’applique désormais à une génération biberonnée aux appareils connectés, sans véritable prise de conscience avec le monde qui l’entoure. En outre, George Clooney n’héroïse pas plus que de raison son protagoniste journaliste, rappelant que lui aussi doit à la fois rendre des comptes afin que son émission survive et surtout attirer les spectateurs avec des sujets davantage ludiques, mais moins tournés vers le souci d’éduquer.

Et au détour d’une conversation, on comprend que Rintintin ou Liberace sont bien plus importants pour le public que la défense de ses droits. Murrow regretterait presque ses heures passées à Londres à informer au quotidien durant la guerre. Et le texte volubile s’amplifie au service d’un cinéma du parler, théâtral à souhait, sublimé par la mise en abyme du petit écran à travers le grand et par les entretiens-vérité chers à Soderbergh.

L’ombre de Soderbergh

Lorsqu’il s’attèle au tournage de Good Night, and Good Luck, George Clooney a déjà officié sous les ordres de Steven Soderbergh à plusieurs reprises, avec succès, notamment à l’occasion de Hors d’atteinte, Ocean’s Eleven et de Solaris. Il n’est donc point étonnant que l’ombre du réalisateur de Sexe, mensonges et vidéo plane sur le long-métrage de George Clooney. Ainsi, on relève entre les deux démarches formelles de fortes similitudes dans la gestion de l’espace et bien entendu, dans la direction d’interprètes.

Parfaitement à son aise dans la peau du journaliste Ed Murrow, David Strathairn délivre une des meilleures performances de sa carrière sous la houlette de son partenaire de jeu/cinéaste. On constatera que George Clonney a retenu la leçon de Steven Soderbergh à la perfection, au moment de se concentrer sur son acteur, plans resserrés ou gros plans à l’appui, d’autant plus que le principe de l’entretien-vérité est ici sublimé par l’opportunité même du sujet.

En outre, il continue d’affirmer sa filiation lorsqu’il confine son espace pour mieux accentuer la tension dramatique et souligner tous les éléments importants d’une situation donnée. Quel environnement réduit à sa plus simple expression autre qu’un écran de télévision est capable de dégager une telle puissance d’évocation ? Clooney se prête une fois encore à un exercice de mise en abyme délicat, toujours avec une réussite insolente.

Génération sacrifiée

Et ce dispositif subtil sert un discours politique et sociétal protéiforme qui critique le Maccarthysme bien sûr, le puritanisme ambiant et prédit les grandes luttes contemporaines à savoir, l’indépendance des médias. Certes, on regrette l’approche très illustrative du metteur en scène lorsqu’il aborde ce dernier point ; néanmoins, on saisit très vite que cette bataille d’envergure remonte à bien plus loin qu’on ne l’imagine ; tout comme les règles parfois absurdes imposées par les entreprises (ah l’interdiction du mariage entre deux employés, fréquente aux États-Unis). Dans tous les cas, ce sont toujours les justes qui souffrent de ces situations et tombent à la fin pour leur cause, victoire à la Pyrrhus à la clé.

Good Night, and Good Luck. vire très souvent à la tragédie grecque, condamnant ses protagonistes aux Enfers alors qu’ils sont pétris de bonnes intentions. Georges Clooney décrit trois trajectoires brisées par un système, celles d’un tandem d’idéalistes, d’un couple forcé au secret et d’un homme usé, brimé, preuve que le harcèlement existait bien avant l’avènement d’internet. Toutefois, le réalisateur préfère ajouter une once d’espoir teintée d’ironie à l’ensemble, croyant en des jours meilleurs, en dépit d’une ouverture et d’une conclusion aux allures fatidiques.

Véritable sommet de son auteur, Good Night, and Good Luck. traverse le temps, évoque le passé pour mieux analyser le présent et s’imposer en Cassandre d’un monde en déliquescence. George Clooney ne parviendra jamais, hélas, à renouer avec la formule gagnante qui permit à son deuxième long-métrage de marquer les consciences. Une recette basée sur deux ingrédients essentiels, la somme des expériences et l’ambition.

Film américain de George Clooney avec David Strathairn, George Clooney, Robert Downey Jr. Durée 1h33. 2006

François Verstraete

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