Légende parmi les braqueurs, Jack Foley ne sait pas lui-même à combien de coups il a pris part au cours de sa carrière. Gentleman, il a toujours rechigné à employer la violence lors de ses casses. En revanche, il refuse de croupir une nouvelle fois en prison, et parvient à s’évader à l’aide de son fidèle compagnon, Buddy. Durant sa cavale, il capture la marshall Karen Sisco et tombe immédiatement sous son charme. Il commence à rêver d’une romance improbable…
Sorti à la fin des années quatre-vingt-dix, Hors d’atteinte va permettre à la fois une naissance et une renaissance. La naissance d’un acteur, George Clooney, dont la carrière stagne après un passage catastrophique dans le Batman et Robin de Joel Shumacher, carrière sur laquelle plane son rôle dans la série phénomène Urgences. Beaucoup pensent que Clooney ne percera pas sur grand écran et qu’il rejoindra toutes ces vedettes de shows télévisés qui ont échoué avant lui. Prédiction erronée puisque l’interprète de Doug Ross va devenir une des figures majeures hollywoodiennes au cours de la décennie à venir.
Un constat qui s’applique également à Steven Soderbergh. 1998 marque une renaissance, celle d’un cinéaste auréolé de la Palme d’or en 1989 pour son premier long-métrage, le fort habile Sexe, mensonges & vidéo. Cette récompense laissait entrevoir un futur radieux pour le jeune réalisateur. Cependant, il essuie les échecs successifs, autant critiques que publics. Comme pour son interprète, il fera alors taire ses détracteurs en accouchant la même année de deux petits bijoux. Le premier, un polar vénéneux, L’Anglais. Le second, bien sûr, c’est Hors d’atteinte.

En vase clos
Un couple réuni par les circonstances se retrouve coincé dans le coffre d’une voiture. Un chat et une souris, ou plutôt une policière et un voleur. Ce dernier s’est saisi pour quelques heures de son prédateur. Une conversation s’enclenche au gré du parcours, répliques à peine réelles dans une telle situation. L’approche tactile forcée de l’un ne semble guère gêner l’autre partie. Soderbergh pose à la fois les bases d’une rencontre à mi-chemin entre le film noir et la comédie romantique, dans des conditions certes ubuesques, mais également de ses prédispositions à construire et déconstruire le cadre spatial à l’écran.
Ou comment restreindre le champ d’action de ses protagonistes dans un espace clos tandis que les enjeux cruciaux se déroulent sous les yeux des spectateurs. Désormais, le cinéaste les enfermera dans un étau mental ou physique pour mieux souligner les moments clés de sa narration. Ainsi, chaque instant prépondérant vécu par les uns et les autres renverra presque systématiquement à cet instant de confinement calculé.

Le perdant et la battante
Par ailleurs, Soderbergh profite du long-métrage pour à la fois définir la structure de son œuvre à venir et camper le caractère typique de ses personnages. Friand des architectures alambiquées, Soderbergh joue des sens aussi bien des spectateurs que de son casting via des allers et retours temporels maniés à la perfection et de rêves éveillés. Une mécanique d’une précision d’orfèvre s’enclenche, marque de fabrique de son auteur, contrastant à merveille avec la maladresse de certains casseurs.
Le retour au réel se fait alors plus douloureux pour un Jack Foley épris de la mauvaise personne ou plutôt, inversion du rôle des sexes du film noir classique, pour une Karen Sisco entichée du méchant de l’histoire. Quelques minutes toute en retenue durant lesquelles un Foley cagoulé adresse ses adieux à celle pour qui il éprouve des sentiments. Une scène qui fait suite à celle poétique au cours de laquelle un dîner suspend le temps, court moment compté des deux amants fortuits.

Le style de Soderbergh s’exprime également par ses héros et héroïnes, perdants pathétiques ou magnifiques à l’image de Jack Foley ou femme brusquée, torturée par la violence des hommes telle Karen Sisco. Ici, pressée par Jack, un malfrat, un supérieur, son concubin ou son père, Karen subit la loi masculine avec toute l’injustice qui en découle. Cependant, comme souvent chez le réalisateur, la femme répond et rend coup pour coup faisant fi des crasses et des obstacles, l’intronisant en véritable figure forte de son cinéma.
Avec Hors d’atteinte, Steven Soderbergh et Georges Clooney entamèrent une fructueuse collaboration qui culminera avec la série des Ocean’s Eleven et Solaris. Pour le metteur en scène commencera alors une ère prolifique ponctuée par un nouveau couronnement, cette fois-ci aux oscars, pour Traffic. Clooney incarnera par son charisme et son non-jeu une référence prisée par les grands du moment. Quant à Hors d’atteinte, il témoigne de l’alchimie parfaite entre un casting haut de gamme et la direction d’un réalisateur de nouveau en état de grâce. Une superbe réussite.
Film américain de Steven Soderbergh avec George Clooney, Jennifer Lopez, Don Cheadle. Durée 2h23. 1998.
François Verstraete
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