Début du vingtième siècle. Max et David « Noodles », deux adolescents juifs sans le sou, vivent de menus larcins. Noodles sera incarcéré quinze ans pour le meurtre de l’assassin d’un de ses proches. À sa sortie Max et ses complices d’autrefois l’entraînent dans le dangereux jeu de la Prohibition. L’histoire d’une ascension, d’une amitié et d’une chute.

Le début des années quatre-vingt a vu trois chefs-d’œuvre choir au box-office, boudés par le public et reconsidérés par la suite à leur juste valeur. La Porte du paradis de Michael Cimino, Blade Runner de Ridley Scott et… Il était une fois en Amérique de Sergio Leone. Le cinéaste italien est alors connu par pour son apport indélébile au le western spaghetti, travail en partie mésestimé par la critique toujours nostalgique de la période classique hollywoodienne.

Outre la trilogie de l’homme sans nom, le metteur en scène s’est déjà essayé à esquisser de vastes opéras baroques avec sa vision amère de l’Ouest américain dans Il était une fois dans l’Ouest et de la révolution mexicaine avec Il était une fois la révolution. Il va achever cette entreprise et par conséquent cette trilogie avec Il était une fois en Amérique, basé sur l’autobiographie d’Harry Grey, The Hoods, gigantesque peinture de l’Amérique criminelle des années vingt à la fin des années soixante sur fond d’amitié et de rivalité entre deux truands juifs, tantôt attachants, tantôt terrifiants, incarnés par Robert de Niro et James Woods au sommet de leur art.

Fluidité narrative

Il est souvent malaisé de passer d’une époque à une autre sans user de flashbacks maladroits et d’employer une narration non linéaire sur une durée aussi conséquente sans perdre le spectateur et surtout sans le lasser. Pourtant, Léone y parvient sans effort, démultipliant les allers-retours dans cette tragédie en trois actes, aidé par la puissance de son cut. En liant le montage et le regard de Noodles, le réalisateur accouche d’un résultat fluide, limpide dans sa volonté de transiter entre chaque période, les résidus mémoriels se substituent à la fameuse Madeleine de Proust.

Il dépasse sans peine le travail toutefois solide de Bertolucci sur 1900 et par moments celui de Cimino sur Voyage au bout de l’enfer. Jalonné par l’esthétique et la mise en scène baroque de son auteur, Il était une fois en Amérique dissémine aussi bien de sourdes explosions de violence que des passages poétiques rarement vu chez Leone à commencer par la romance entre Noodles et Deborah initiée par la lecture du Cantique des cantiques.

Pas d’innocence chez les gangsters

Servi par la grande profondeur de champ et par la couverture de chaque angle rendu possible par le mouvement judicieux de la caméra, Leone va entreprendre le tour de force de retranscrire un pan de quartier de New York et son évolution avec en son sein une bande de gamins délestés de l’autorité des adultes puis de l’état, incapables de se fixer des limites, gravissant peu à peu les échelons de la pègre locale, sous l’égide de Max toujours soucieux d’atteindre l’inaccessible. À travers son histoire entrelacée intimement avec celle de Noodles et de Deborah, Il était une fois en Amérique, à l’image des précédentes œuvres de Léone va remettre en cause les idées préconçues sur le banditisme d’avant-guerre, de la période dorée de la prohibition et de ses acteurs.

Le code d’honneur n’existe pas vraiment, abattre un homme par surprise est monnaie courante, et il est plus aisé de faire la cour à des prostituées qu’à la femme aimée tant désirée, celle que Noodles finira par violer… le meurtre jadis de Dominic a sonné le glas d’un semblant d’innocence, l’âme rêveuse adolescente de chacun est morte tout comme le gamin assassiné murmurant à Noodles qu’il s’était trompé… Si Noodles guide le spectateur par ses souvenirs et par là même la narration, c’est pour mieux rappeler la valeur du temps et son utilisation intradiégétique et extradiégétique durant tout le long-métrage.

Voyage au centre de la mémoire

Léone accomplit la prouesse d’unir sa connotation significative et sa nature en tant qu’unité de mesure nécessaire. S’il serait facile de se perdre dans les détours incessants de la chronologie alors que quelques secondes peuvent exprimer quelques années, il devient pourtant évident au fil des minutes que ce temps qui s’effiloche inexorablement n’a point d’importance, que rien n’a changé depuis l’époque où Noodles regardait à travers l’ouverture de fortune des toilettes sa bien-aimée.

Tout ramène à un moment béni, sacré comme l’union des protagonistes, leur parole scellée dans une consigne de gare dont la clé est accrochée à l’horloge du bar de Fat Moe. Tout se réfère aussi à ce vol de montre qui a réuni Max et Noodles. Tout se rapporte enfin à la beauté inoxydable de Deborah, sauf le temps dont l’emprise ignorée par Noodles est dissimulée par un maquillage ostentatoire, peinant en définitive à masquer les affres du vieillissement. Pour mieux entériner sa démonstration, Léone renverra De Niro dans les abîmes de la nostalgie, dans un final rappelant furieusement celui de La porte du paradis. Noodles, plongé dans un songe merveilleux, sourire aux lèvres face à la caméra, âge incertain, s’exilera comme ses compagnons hors de ce monde.

Léone ne le sait pas encore à sa sortie, mais Il était une fois en Amérique constituera son ultime contribution au septième art. Œuvre désenchantée et mélancolique, portée aussi bien par un duo De Niro Woods fulgurant que par la composition d’Ennio Morricone, Il était une fois en Amérique tient du rêve éveillé, celui d’un auteur parti trop tôt. Il fascine par son aisance à dicter une action à la fois limpide et sophistiquée, sobre et fastueuse, sans jamais tomber dans l’excès. Si Léone s’est souvent mis en porte à faux du classicisme hollywoodien, alors qu’il vénérait John Ford, c’est pour mieux en retrouver l’esprit à défaut de la forme. Une formule gagnante pour l’un des derniers films majeurs du siècle passé.

Film italo-américain de Sergio Leone avec Robert de Niro, James Wood, Elizabeth McGovern. Durée 4h11. Sortie le 23 mai 1984.

François Verstraete

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