Hong-kong, début des années deux-mille. La bataille opposant les forces de l’ordre et la pègre fait rage. Depuis près de dix ans, Chan est infiltré au sein des triades pour le compte des autorités, supervisé par le commissaire Wong. Lau lui a intégré la police en qualité d’inspecteur mais est également sous couverture, puisqu’il sert en secret les intérêts de Sam, l’un des principaux parrains de la pègre. Durant une opération, chaque camp comprend qu’une taupe agit dans leur sein respectif.

Une course contre la montre s’engage pour débusquer les traîtres. À l’issue de ce jeu de dupes, un seul vainqueur possible. Mais pendant ce temps, alors que l’étau se resserre aussi bien sur Chan et que sur Lau et qu’ils deviennent les acteurs essentiels de ce duel à mort, le duo commence à douter. Les esprits vacillent au gré de leur double identité…

Un homme se rend dans un magasin et demande conseil au vendeur. En quelques mots, les deux sympathisent et partagent un moment de détente au son d’une musique choisie par le client. Quelques instants de répit pour les deux protagonistes, unis et séparés à la fois par un fardeau identique, un destin similaire, un secret trop lourd à porter. Pourtant, lors de cette scène, rien n’annonce un probable affrontement, les réalisateurs envisagent même une amitié éventuelle. Une possibilité écartée d’emblée par leur situation, l’enfer permanent vécu au quotidien est prédit par les quelques vers cités au générique leur refusant de fait, quelques moments de répit ou de bonheur.

Made in Hong-kong

Réputé aussi bien pour les polars frénétiques de John Woo et Ringo Lam que ceux plus posés de Johnnie To, le cinéma de genre hongkongais connut un nouvel âge d’or à la fin des années quatre-vingt-dix avec The Mission. Dans le prolongement du travail de Johnnie To, Alan Mak et Andy Lau accouchèrent d’une trilogie noire qui inspirera Martin Scorsese lui-même, avec un premier opus d’une remarquable précision. La saga Infernal Affairs était née.

De prime abord, le fruit de la collaboration des deux réalisateurs rappelle en partie seulement la série américaine Un flic dans la mafia. Pourtant, dans le traitement des hésitations, des troubles d’identité, le long-métrage puise plutôt sa réflexion dans le Volte/Face de John Woo. Ici chacun endosse un rôle, des responsabilités, qui auraient dû échoir à l’autre. Dans l’intimité du quotidien ou dans le feu de l’action, il faut savoir mettre de l’eau dans son vin, ne pas éveiller les soupçons, faire preuve de pragmatisme sans jamais oublier les buts fixés à l’origine. À l’image des héros de John Woo, ceux de Mak et Lau perdent pied petit à petit pour mieux renaître de leurs cendres et accomplir leur destinée ou au contraire faire fléchir ses caprices.

Une précision d’horloger

La minutie et les trésors ingénieux déployés par les personnages pour préserver leur secret s’entremêlent avec une certaine virtuosité qui émane de l’approche formelle elle-même. La scène de filature dans le cinéma, moment de haute tension, témoigne de ce savoir-faire évident. Une tension qui ira crescendo pour asséner un violent coup du sort après un jeu de cache-cache professionnel rondement mené. Mais les détails d’une vie intime imaginée, follement espérée ou à l’opposée harmonieusement réussie importent autant voire plus aux deux réalisateurs.

Pour Chan, il s’agit de romances qui n’aboutiront jamais, d’une quiétude familiale qu’il ne connaîtra pas comme cette possible amitié avec Lau évoquée précédemment. Ici, l’infiltration devient source de bonheur inattendue pour le malfrat et mise au ban pour le représentant des forces de l’ordre. Tous deux passeront du statut de marionnette à celui marionnettiste à l’issue d’un combat d’égos qui les aura brisés.

Pièce maîtresse d’un art local alors au sommet, Infernal Affairs impressionne aussi bien par l’interprétation de Tony Leung et Andy Lau que par le dispositif conçu par les artisans Alan Mak et Andrew Lau. Pourtant, en dépit de toutes ses qualités, le film obtiendra ses lettres de noblesse par procuration, via le remake de Martin Scorsese, Les Infiltrés, récompensé par un Oscar pour l’occasion, même si cette mouture américaine souffre d’un certain manque de cohérence et surtout de retenue par rapport au matériau d’origine. Une version originale qui depuis a acquis le statut mérité d’œuvre culte, ce dans tous les sens du terme.

Film hongkongais d’Alan Mak et Andrew  Lau avec Tony Leung, Eric Tsang, Andy Lau. Durée 1h37. Sortie 2004.

François Verstraete

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