Arthur Fleck doit désormais répondre des crimes du Joker. Or, alors que se profile le procès du siècle, une rencontre inattendue va bouleverser sa vision du monde… pour le pire !
Avec Joker, Todd Phillips a rassemblé la majorité des suffrages publics et critiques, érigeant une icône notoire de la pop culture au rang d’emblème social, tout en le délestant de ses attaches mythologiques. Affranchi en grande partie de l’ombre de Batman, le criminel le plus célèbre de Gotham s’était presque refait une virginité, passant du statut d’ordure de première catégorie à celui de victime d’un système inique. Ce changement de paradigme résulte du type de traitement apposé sur le personnage, digne de celui que l’on réserve habituellement au super-héros.
Du récit de ses origines à la valorisation de son émancipation, l’histoire du Joker devenait celle d’un malade abandonné par des structures déliquescentes et qui prenait enfin sa revanche sur ceux qui l’avaient délaissé, voire humilié. Or, en adoptant cette approche, Todd Phillips ignorait que son dispositif allait lui échapper et que certains allaient s’emparer de cette figure pour le hisser au rang de symbole de révolutionnaire. Par conséquent, la polémique enflait tandis que l’on pouvait s’interroger aussi bien sur la légitimité du sujet que sur la qualité intrinsèque du long-métrage.

Et lorsque l’on se penchait sur cette question, on relevait une mise en scène bien moins élégante qu’annoncé (bonjour l’illustration) ainsi qu’une propension à la gratuité et au discours faussement anarchiste (contrairement au protagoniste). Fort heureusement pour Todd Phillips, personne ou presque ne s’en est préoccupé et son travail a engrangé plus d’un milliard de dollars au box-office. Voilà, une bonne raison de proposer une suite, l’appât du gain aidant, même s’il sera difficile de réitérer un exploit identique, sans que la supercherie ne soit dévoilée cette fois.
Néanmoins le réalisateur a de la ressource. En s’appuyant sur Harley Quinn, la célèbre et adulée vilaine imaginée par le tandem Paul Dini-Bruce Timm et en faisant appel à Lady Gaga pour endosser ses traits, Todd Phillips espérait encore s’attirer les faveurs des fans, surtout en transformant son projet en comédie musicale d’envergure, ce qui aurait pour effet de masquer tous les défauts de son entreprise. À commencer par son revirement à cent quatre-vingts degrés concernant son regard sur Arthur Fleck, signifiant de manière sous-jacente, que la situation lui a complètement échappé.

Une dernière blague amère ?
Pourtant, l’introduction (très laide d’ailleurs et caricaturale en dépit des références) et la présentation de l’univers carcéral avec son lot de stéréotypes prolongeaient avec force et fracas le discours du premier volet. Todd Phillips montre avec une débauche d’effets ostentatoires toute la détresse d’Arthur Fleck, ses conditions atroces de détention et son impuissance apparente à s’extirper de cet enfer, dans lequel il aurait été injustement jeté, selon son avocate. Et, d’un coup, s’opère le soubresaut qui fait basculer la vision du réalisateur envers le protagoniste !
Arthur Fleck serait bel et bien un horrible assassin et qu’au-delà de ses délires, il assume entièrement son état monstrueux. Une démonstration effectuée une fois encore, en toute illustration, dénuée de la moindre suggestion, d’une once quelconque de subtilité, Phillips prend le spectateur par la main, l’estimant trop idiot pour deviner ses intentions et son message. La scène d’interrogatoire de son ancien collègue au tribunal en atteste, tout vient corroborer un exercice d’équilibriste absolument pas maîtrisé.

Le cinéaste essaie vainement de se raccrocher à un fil, notamment en se concentrant sur Harley/Lady Gaga, mais l’écriture du personnage s’avère si pauvre qu’il perd de son impact originel. Censée former un couple atypique avec le Joker, Harley accumule ici les poncifs, définie par les traits de caractère d’une adolescente en mal de sensations fortes. Sa présence n’est essentielle que pour souligner les performances d’une actrice en roue libre, sur qui repose le numéro de comédie musicale.
La mélodie du malheur
Comme l’explique gaiement un membre de l’établissement, chanter sert d’exutoire aux nombreux patients et délinquants qui hantent les couloirs, ainsi qu’aux surveillants. Tous se découvrent une fibre artistique, censée faire éclore ce qu’il y a de meilleur ou de pire en chacun d’eux. Todd Phillips marie cet appareil aux rêves débridés de son duo maléfique et les plonge dans leur subconscient, rempli de notes et de pas de danse. Néanmoins, il est difficile de se réjouir du résultat, tant la paresse transpire à chaque ballet, chaque chanson ; Todd Phillips ne saisit pas les codes du genre, lui qui ne sait que transgresser depuis Very Bad Trip.
Il peut se réapproprier les succès d’antan pour que son spectacle continue et déployer les vocalises de Lady Gaga, il ne convainc pas. Son style vulgaire et emphatique se conjugue à sa propension à l’illustration (encore oui) comme dans cette séquence au tribunal où Fleck disjoncte dans son imagination, en chantant, bien entendu. Dindon d’une plaisanterie qui n’amuse que lui, Fleck se voit désormais en ténor conquérant, au barreau ou ailleurs… tout comme son créateur. Et cette vaste faillite serait plus acceptable, si Phillips ne galvaudait pas l’un des principes majeurs du comic book en général.

Crise d’identité
Pure coïncidence ou authentique velléité de son auteur, Joker : Folie à Deux s’intéresse au thème du dédoublement de la personnalité et en quoi il déresponsabilise les actes de ceux qui en souffrent, à commencer par Arthur Fleck. Todd Phillips en profite pour percer l’aura de mystère autour de son protagoniste ; est-il coupable ou juste sous la coupe de son alter-ego, tel Gollum du Seigneur des Anneaux ? Hélas, il déploie l’artillerie lourde à mauvais escient pour étayer sa théorie, à l’aide d’artifices si grossiers qu’ils agacent. Ainsi, associer la cigarette comme ancre du Joker ouvre au réalisateur la porte de la bienséance (fumer c’est mal), mais lui ferme celle d’une analyse toute en finesse.
Surtout, il ne parvient jamais à appréhender le concept du masque, son importance, même s’il tente vainement de l’explorer et la cause évidente, il ne sait pas lui-même si Le Joker et Fleck ne font qu’un, ou si l’un des deux prend véritablement le dessus. Chez Tim Burton, par exemple, la réponse était claire ; le masque de Batman (ou ceux de ses adversaires) constituait son visage alors que ses traits humains formaient sa facette monstrueuse. Une constante encore plus affirmée pour Superman puisque Clark Kent n’est qu’une couverture et qu’il reste Superman quoi qu’il arrive (comme l’explique d’ailleurs David Carradine dans Kill Bill: Volume 2). Certes, Todd Phillips aurait pu renverser ces valeurs à son profit, mais il s’égare en chemin et ne propose plus qu’un vaste amas de conclusions hasardeuses et irréfléchies.
Inutile donc de plaider en faveur de Joker : Folie à Deux, tant il se vautre dans une complaisance crasse et qu’il se noie dans sa gestion chaotique et des élans narratifs grandiloquents. En outre, il ne devrait plus duper quiconque puisque son metteur en scène a sapé la pseudo essence de son supposé pamphlet social. Il faut baisser les rideaux et vite !
Film américain de Todd Phillips avec Joaquin Phœnix, Lady Gaga, Brendan Gleeson. Durée 2h20. Sortie le 2 octobre 2024
L’avis de Mathis Bailleul : Joker : Folie à deux démystifie l’icône, rétropédale et fait le procès de la réception du premier. Sur le papier, ça se croit malin mais c’est surtout bête, lâche, perdu… et aussi branlant que ses personnages et ses chants qu’on ne sait animer. Une jolie dissertation autosatisfaite.
François Verstraete
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