Cinq ans après les événements du Monde Perdu, les dinosaures ont trouvé refuge au sein des zones équatoriales, unique environnement dans lequel ils peuvent survivre. Ces territoires sont désormais proscrits au reste de l’humanité. Néanmoins, une expédition brave l’interdiction afin de prélever des échantillons sanguins, à même de révolutionner le domaine médical.
Phénomène planétaire initié au départ par deux opus signés Steven Spielberg, la franchise Jurassic Park bénéficie d’une aura de sympathie presque incompréhensible, inhérente aussi bien à l’attrait d’une partie du public envers les dinosaures (et leur lot de mystères) qu’à une fibre nostalgique vibrant à la moindre résonance issue des années quatre-vingt, quatre-vingt-dix. Pourtant, la saga n’a jamais rien démontré en termes de cohérence, de narration ou de mise en scène pour mériter autant de louanges (et cela vaut également pour le premier épisode de Spielberg).

Toutefois, le réalisateur était parvenu à poser sur grand écran les bases d’une mythologie imaginée par Michael Crichton tandis que l’honnête artisan Joe Johnston ne s’était pas humilié au moment d’accoucher du troisième volet. Tout le contraire de Colin Trevorrow qui a complètement ruiné le travail de ses prédécesseurs, avec une nouvelle trilogie absolument indigente. De franchise dispensable, Jurassic Park s’est transformée en étron digne des plus mauvaises superproductions hollywoodiennes.
Cependant, les dollars ont afflué massivement et Universal maintient en vie cette licence inepte. Et pour s’attirer les faveurs des critiques, le studio s’est offert les services de Gareth Edwards, l’homme derrière Rogue One : A Star Wars Story, Godzilla et The Creator ainsi que du scénariste David Koepp. Deux auteurs aux qualités discutables, capables du meilleur comme du pire. Très souvent leurs bonnes idées se noient dans le chaos, faute de ligne directrice bien établie. Toutefois, on leur accorde le bénéficie du doute concernant ce Jurassic World : Renaissance, d’autant plus que la distribution s’avère intéressante sur le papier (Scarlett Johansson et Mahershala Ali). Hélas, le crédit et les espoirs se dissipent très vite, en dépit de quelques concepts inventifs… mais c’est trop peu !

Un homme et des monstres
Le cinéaste aurait dû, en effet, davantage s’appuyer sur l’alchimie idéale existante entre le postulat de base (hérité de Jurassic Park III) et son affection pour les créatures titanesques (Godzilla, Monsters). En s’aventurant au cœur d’une jungle hostile ou sur les confins maritimes, Gareth Edwards avait l’opportunité d’exploiter les vastes étendues pour opposer les intérêts égoïstes de l’humanité à ceux de l’ordre naturel. Malheureusement, sa démonstration dénuée de finesse percute, mais n’émeut pas.
Ainsi, les rares moments de poésie, à l’image de la scène de séduction entre deux dinosaures ou encore celle relatant le choc éprouvé par Loomis quand il s’immerge dans ce monde qu’il ne connaissait que par ses lectures ou des reconstitutions, n’enchantent jamais vraiment, puisqu’ils se plient à une lourde mécanique, trop ostensible pour être véritablement sincère. L’ultime intérêt du long-métrage alors réside dans la manière de montrer des monstres touchants ou terrifiants.

Là encore, Gareth Edwards échoue dans son entreprise, la faute en incombe à une caractérisation réductrice (méchants carnivores, adorables herbivores) et à une direction artistique pas toujours convaincante voire de mauvais goût (cf. le T. Rex croisé avec un Alien). En outre, il balaie même l’approche séduisante de Godzilla ou de Monsters, qui substituait une rencontre frontale, brute de décoffrage et immédiate avec ces êtres venus d’ailleurs par une introduction progressive, propice à un énorme bouquet final.
Diviser pour le pire
Il est évident que ce tableau, peu flatteur, malgré quelques fulgurances, n’engagerait que le chaland un poil curieux. Néanmoins, ce dernier prouvera sa bravoure s’il avale toutes les couleuvres d’un récit à l’écriture paresseuse, privé d’une efficacité toute fonctionnelle et soumis aux stéréotypes de toute part. Le fil conducteur renvoie à une quête de jeu vidéo (alors, nos protagonistes doivent extraire du sang d’un dinosaure marin, terrestre et aérien) et les personnages répondent à des critères standards sans la moindre nuance (et se conforment de fait à la représentation des dinosaures).

On reconnaît rapidement le traitre en puissance, la mercenaire repentie, le paléontologue idéaliste, le père de famille protecteur qui n’apprécie pas le petit ami fainéant de sa fille, etc. Qui plus est, Gareth Edwards n’essaie jamais de diriger ses interprètes dans l’optique d’injecter une quelconque facette subtile à leurs alter ego à l’écran ou d’expliquer leur malaise, leur motivation ou leur pugnacité par une suggestion bienvenue. Hormis les cascades et les courses poursuites, rien ne valorise leurs efforts présumés ou leurs personnages, tantôt mal aimables, tantôt stupides à souhait.
Surtout, leur démultiplication nuit à leur développement individuel. Par conséquent, le réalisateur s’égare en chemin, incapable de gérer huit protagonistes majeurs au total, pour un résultat choral totalement inabouti (surtout en séparant le groupe en deux entités distinctes prévisibles). On parie d’avance qu’ils ne seront jamais inquiétés puisqu’une pléthore de seconds couteaux se joint à eux pour mieux périr à leur place. Et quand il s’essaie à l’introspection, le ridicule survient, tant tout sonne faux en raison de la démarche illustrative. Ainsi, les larmes de crocodile de Scarlett Johansson se perdent dans l’océan, tout comme le crédit du cinéaste.

Sauve qui peut
Les défauts de sa mise en scène affleurent ici, écueils qu’on a occultés volontairement afin d’ériger Rogue One en œuvre incontournable (qu’il n’est pas d’ailleurs) ou The Creator en mètre étalon stylistique. Très souvent Gareth Edwards se contente du strict minimum, il se résume à une courte séquence dans la lignée d’Alien, durant laquelle une Scarlett Johansson tenace s’engouffre dans un souterrain dans le but de sauver ses compagnons. De proie, elle devient celle qui traque. Quelques secondes bien maîtrisées au milieu du néant formel, du manque de profondeur du script ou du gouffre abyssal dans lequel s’est enfoncé la franchise.
Adepte du n’importe quoi, elle passe un nouveau cap après les péripéties vécues par Bryce Dallas Howard en talons aiguille chez Colin Trevorrow. Les personnages n’enchainent pas les hauts faits épiques, ils obéissent aux lois incongrues et dépourvues de toute crédibilité, propres à Hollywood, tandis que les attitudes erratiques des dinosaures déconcertent. Quant à la joyeuse petite famille qui se retrouve coincée dans cet enfer, elle s’adapte avec aisance aux conditions précaires d’une jungle tropicale tout en s’extirpant des griffes de prédateurs omnipotents, sans dommage.
Il serait donc grand temps que cesse cette mascarade, tant elle a assez duré. La fuite constitue la meilleure option pour les spectateurs et elle induirait un revers en salles. Bien entendu, le box-office a ses raisons que la raison ignore et il pourrait épargner encore Jurassic Park…
Film américain de Gareth Edwards avec Scarlett Johansson, Jonathan Bauley, Mahershala Ali. Durée 2h13. Sortie le 4 juillet 2025
L’avis de Mathis Bailleul : En fait Gareth Edwards, c’est l’expert des grands petits films. Après The Creator, il le prouve encore avec Jurassic Park : Renaissance fait en un an et sa petite histoire et ses petits enjeux, généreusement mis en scène avec des acteurs un peu trop dirigés pour ce qu’ils ont à jouer.
François Verstraete
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