Los Angeles. Fin des années cinquante. Après l’arrestation du baron du crime Mickey Cohen, la ville devient le théâtre de règlements de compte. Lors d’une fusillade sanglante au bar l’Oiseau de nuit, un ancien policier est abattu. Trois flics aux méthodes diamétralement opposées vont devoir faire équipe pour retrouver les coupables. Le début d’une enquête au cœur de la Cité des anges…

Il existe des rencontres fortuites dans le domaine de l’art à même d’accoucher à défaut de chef-d’œuvre, de pièces rares et précieuses, susceptibles aussi bien de ponctuer une carrière qu’un moment précis. Sans entrer forcément dans la postérité, ces œuvres ont eu le mérite de marquer au moins en partie leur époque. L.A Confidential appartient à cette catégorie. Fruit de l’alchimie entre trois auteurs, l’un confirmé, l’autre prometteur et le troisième honnête artisan, L.A Confidential incarne le renouveau du film noir en cette fin de décennie.

Adapté du roman éponyme de James Ellroy, L.A Confidential porte le lourd fardeau de transposer la plume d’un des plus écrivains majeurs de polar de ces trente dernières années. Les tentatives antérieures n’ont pas été couronnées du succès escompté. Le projet échoit pour la transcription du récit au tandem Brian Helgeland Curtis Hanson, et pour la mise en scène au même Curtis Hanson. Helgeland n’est pas encore le réalisateur de Payback ou de Chevalier ni le scénariste de Mystic River, ses précédents travaux sur Postman ou Assassins n’ont point convaincu.

Curtis Hanson lui est surtout connu pour un thriller sans envergure, mais recelant quelques bonnes idées, La Main sur le berceau. Certains entrevoient l’accident industriel. En lieu et place, ils auront droit à une mécanique sinueuse, habile variation du film noir, affichant une maîtrise manifeste d’un genre qu’on pensait moribond depuis Chinatown.

Cadre implacable

Tous les ingrédients du genre répondent justement à l’appel : les flics cyniques ou désabusés, la femme qu’il aurait fallu éviter, l’intrigue alambiquée, tortueuse et surtout l’ambivalence morale. Pont de manichéisme ici, uniquement des individus qui arpentent la frontière ténue séparant le bien et le mal. À Los Angeles, tout n’est qu’illusion, machine à rêves dupant ceux qui s’y attardent un peu trop longtemps. Le réveil sera rude, brutal à l’image des coups reçus par les gangsters attirés par les lumières de la ville et la chute de Cohen, pour finir rossés par Dudley et ses hommes.

Oui tout n’est qu’artifice, à commencer par cette introduction qui pourrait annoncer un conte de Noël, propice à la trêve et à la paix. C’est le début alors d’un cauchemar pour les protagonistes, cauchemar éveillé favorable autant à l’introspection qu’à la recherche d’une quelconque rédemption. Curtis Hanson expose ses personnages avec brio, leurs différentes actions reflètent bien mieux que les paroles, leur caractère et leur passé. Exley est motivé par l’ambition et idéal de la justice, White vole violemment au secours des femmes battues, Vincennes pour l’amour du show.

La force de cette exposition tient aussi bien dans la sécheresse de ton de l’approche que dans le refus de Curtis Hanson de s’attarder sur les détails. Il laisse place à une suggestion bienvenue rappeler à chacun pourquoi ils sont là (ils ont oublié la raison) et les supplicier. Vincennes est le premier à se l’avouer. Tous corrompus par les satanées chimères d’une Alexandrie moderne qui salit tous ceux qui résident. Les jeunes femmes sont livrées en pâture à une industrie qui leur promet des mirages, qu’elles viennent d’Arizona ou issues de la banlieue locale.

Ambiguïté

Los Angeles nourrit ces illusions puisqu’elle en incarne non seulement l’essence, mais également l’existence. La ville est un amas hétéroclite éthique, sociétal capable du meilleur comme du pire. Les paillettes d’Hollywood côtoient les rues sordides dans lesquelles sont abandonnées à leur sort, prostituées, gangsters et immigrés. L’ambivalence morale évoquée explose aux yeux du spectateur après une lente descente aux enfers pour l’ensemble des personnages, coupables, victimes, justiciers ou bourreaux.

Pour Hanson et Ellroy, personne n’est tout à fait innocent ni tout à fait condamnable, encore moins bon ou mauvais. Le défenseur des femmes se met à battre celle qu’il aime, la victime ment pour que ses agresseurs soient abattus, le flic probe choisit la célébrité en lieu et place de la vérité. Los Angeles à force de brandir l’image miroitante d’un paradis broie les justes, tandis que les requins, politiciens, journalistes, mafieux, hommes d’affaires ou policiers ripoux se repaissent des cadavres.

Résidents des enfers

Pourtant, tout n’est point perdu. Exley comprend que pour que l’ordre règne, il faut instiller un peu de chaos. Vincennes se rappelle qu’il est un authentique enquêteur et point un simulacre porté à l’écran. White se sert de son intuition et de son intelligence plutôt que d’utiliser ses poings. Les contradictions les amènent à l’horrible vérité, qui les conduit à pactiser avec le diable afin que justice soir faîte. Dernier paradoxe moral. En outre, le long-métrage fascine par son portrait d’Hollywood, usine à rêves qui s’imprègne parfaitement du berceau illusoire dans lequel l’industrie cinématographique baigne.

Si Los Angeles entretient les espoirs impossibles de ses habitants et de ceux qui s’y rendent durant un pèlerinage funèbre qui entérine amour propre et convictions, alors Hollywood en est le reflet universel éclatant. Hollywood renvoie le fantasme sur et par delà l’écran, son conformisme formate ceux qui la font vivre, et les laissés pour compte sont destinés à prolonger l’expérience au cours d’un éprouvant calvaire. Chacun oublie qui il est et chacun se prend au jeu d’une réalité travestie aussi bien par la caméra que par la chirurgie douloureuse. Subsiste une femme qui recouvre sa personnalité dès qu’elle s’éprend d’un homme qui lui s’est égaré en chemin. L’icône glamour de Veronica Lake s’estompe pour celle véridique de Lynn Bracken.

On constate alors que L.A Confidential, au-delà du film noir classique et classieux, symbolise la quête de l’identité retrouvée. Il n’importe pas seulement de lever le voile sur les crimes ignobles d’une société rongée par la corruption jusqu’à l’os. À l’arrivée, tout concourt à supplicier ce petit monde pour mieux recouvrir la mémoire, la foi qu’ils ont perdue, le brin d’espoir dans la Los Angeles Noire, qu’ils ne regagneront qu’en abandonnant ce qu’ils chérissaient jusque là précieusement. Mais n’est ce pas là le chemin de croix de l’artiste. Si tout n’est que duplicité, l’art doit se plier quelquefois pour ne pas rompre et rebondir ardemment. Ici, le travail de Curtis Hanson, subjugué par les plumes de James Ellroy et de Brian Helgeland, ne rebondit pas seulement, il éblouit.

Film américain de Curtis Hanson avec Guy Pearce, Russel Crowe, Kevin Spacey, Kim Basinger. Durée 2h17. 1997

François Verstraete

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