1501. Europe de l’Ouest. Le seigneur Arnolfini offre une véritable fortune à une troupe de mercenaires si cette dernière l’aide à reprendre le contrôle de sa ville. Pourtant, après avoir récupéré son fief, Arnolfini trahit le groupe de guerriers déshérités et refuse de leur remettre leur dû. Fous de rage, ils jurent de revenir se venger, menés par leur chef, le charismatique Martin. La bande vit de menus larcins qui les conduiront jusqu’à Agnès, la promise de Steven, fils d’Arnolfini. Débute alors une relation singulière entre Agnès et Martin tandis que Steven monte une expédition pour sauver sa bien-aimée.
Un officier rassemble ses troupes et les exhorte à l’assaut final. Un père empêche son fils de participer au combat, lui expliquant que seuls les fous (ou les plus pauvres) livrent bataille. Ce fils, versé dans une autre forme de l’art de la guerre, tente d’exercer sa science pour faire tourner l’issue de l’affrontement, vainement. Quant à la bande de mercenaires bientôt dirigée par Martin, elle se joint aux rites de la chair et du sang qui justifient pleinement le titre du long-métrage Flesh and Blood ou La Chair et le Sang. Ces pauvres hères, badauds nés sous une mauvaise étoile, celle de la misère, préfèrent goûter à la bonne chaire du sexe et verser le sang de l’ennemi plutôt que de consommer la chair et le sang du Christ proposés par un prêtre sinistre, dévot fanatique, symbole d’une ère ténébreuse.

Sans fioritures
En quelques minutes, Verhœven délivre une vision du Moyen-âge très éloignée de la chanson épique de John Boorman, Excalibur ou des différentes allégories inspirées de la fantasy estampillées Robert Howard telles Conan ou encore Kalidor. En effet, si Boorman unifiait ses protagonistes sous la bannière d’un humanisme guidé en partie par la lumière de la foi, Verhœven va au contraire présenter un monde peuplé de loups assoiffés de pouvoir, au sein duquel seuls les plus forts ou les plus rusés survivront.
Premier long-métrage réalisé en langue anglaise par Paul Verhœven, La Chair et le Sang constitue en quelque sorte un premier travail de transition pour le hollandais, juste avant de céder aux sirènes d’Hollywood et d’entamer le tournage de Robocop. En effet, Verhœven peut déjà se targuer d’une solide filmographie bien que sa propension à s’appuyer sur des scènes d’une violence inouïe ou à caractère sexuel, parfois jusqu’à l’épuisement, commence à fatiguer les censeurs, mais également certains observateurs de son pays natal.

On connaît aujourd’hui le style brut de décoffrage du cinéaste, une marque de fabrique, qui sous ses atours ostentatoires peu subtils, dissimule des trésors d’ingéniosité. Soldier of orange, remarquable tableau sur la résistance hollandaise, témoignait du talent indéniable de son auteur. La Chair et le Sang va constituer une nouvelle étape pour le hollandais avant qu’il ne s’envole outre-Atlantique. En outre, Paul Verhœven a toujours affiché un grand intérêt pour l’Histoire dans son œuvre sans jamais édulcorer les faits, refusant de magnifier l’innommable.
Rude réalité
Après avoir plongé le public dans l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, il va l’immerger en plein cœur de l’Europe médiévale, dressant un portrait de la période très différent des clichés idéalisés qui persistent notamment à Hollywood. C’est pourquoi, en choisissant Rutger Hauer pour endosser les traits de ce chef certes dupé, mais véritable salaud ordinaire, il offre à son ami de longue date un rôle taillé à sa démesure et surtout à contre-emploi du héros de Ladyhawke, la femme de la nuit, film qui revendiquait des vertus chevaleresques bien en dehors des réalités d’une époque troublée.

Comme précisé précédemment, La Chair et le Sang s’impose comme une transition pour l’artiste. En effet, il annonce tout simplement ce qui fera la force du cinéaste à Hollywood, son refus des compromis et surtout sa faculté de tirer à boulets rouges sur tout ce qui bouge, quitte à ôter tout espoir au spectateur. Pour ce faire, tout comme dans son futur Robocop, le metteur en scène réfute une innocence depuis bien longtemps perdue pour les uns et les autres au profit de la vengeance et de la survie.
Il faut reconnaître que dans La Chair et le Sang, tous ont abandonné éthique et sens des valeurs, certains par obligation, d’autres par cupidité. Ne subsistent que des figures pathétiques prêtes à briser leur prochain pour vivre un jour, une heure, une minute de plus. Ainsi, Martin, trompé, va exercer une politique axée sur l’injustice, identique à celle d’Arnolfini. Steven ne va pas hésiter à sacrifier un enfant innocent dans sa quête. Quant à Agnès, véritable victime, mais fausse ingénue, caméléon moderne, elle personnifie à merveille l’archétype féminin présent dans le cinéma de Verhœven.

Adaptation
Retournant chaque situation à son avantage, même les plus extrêmes, à l’image de son viol abject, elle réussit à modifier son destin, se mutant peu à peu en femme fatale pour se défaire du diktat patriarcal. Maîtresse de son sort, elle préfère lutter plutôt qu’abdiquer à l’instar de cette femme se suicidant aux côtés de son enfant pour échapper aux exactions à venir de goguenards barbares.
Paul Verhœven profite de chaque occasion pour délivrer une véritable étude de mœurs s’affranchissant des excès montrés à l’écran. Derrière la sauvagerie, l’abandon des vertus de la civilisation, se tapissent les affres de la manipulation. Chez Verhœven la manipulation revêt différents aspects : politique (Soldier of orange, Black Book, Starship Troopers), religieuse (La Chair et le Sang, Benedetta) ou tout simplement socioculturelle (Spetters, Basic Instinct, Robocop, Elle). Pour se libérer d’un tel joug, des préjugés, il faut triompher de certaines épreuves durant lesquelles, l’esprit prévaut sur la force, comme ce prêtre renonçant aux croyances basées sur l’obscurantisme en faveur de la science.
Jamais à court d’idées pour choquer le chaland, Paul Verhœven intensifie le calvaire de ses personnages au fil des minutes pour critiquer la vision tronquée d’une société déliquescente. Mieux encore, il dissipe les tabous, s’amuse des interdits et à l’arrivée délivre une fable dépourvue d’un manichéisme de façade. Ode anti-épique, La Chair et le Sang incarne l’autre facette du long-métrage médiéval, à l’opposé de l’héroïsme échevelé d’Excalibur, troquant les principes au profit du cynisme, l’espoir contre la vérité mise à nue. Un film essentiel sur ce point.
Film hollandais de Paul Verhœven avec Rutger Hauer, Jennifer Jason Leigh, Fernando Hilbeck. Durée 2h02. 1986.
François Verstraete
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