Prêt à tout pour sauver son mariage, Walter Burns, important rédacteur en chef, décide d’envoyer son épouse interroger un condamné à mort.

Réalisateur majeur de l’âge d’or hollywoodien, Howard Hawks peut se targuer d’une carrière des plus éclectiques, avec à son actif bon nombre de chefs-d’œuvre du septième art. Autant à l’aise avec les westerns (Rio Bravo évidemment ou La Rivière rouge), le film noir (ah Le Grand sommeil), de guerre (Les Chemins de la gloire) ou encore la comédie (L’Impossible Monsieur Bébé ou Les Hommes préfèrent les blondes). Et parmi justement ces comédies, on retrouve La Dame du vendredi, qui si elle n’atteint pas les sommets de L’Impossible Monsieur Bébé, détonne, que ce soit par sa percussion constante que par sa férocité.

La Dame du vendredi appartient à un sous-genre de la comédie américaine, la screwball comedy, qui met en scène romance compliquée, divorce ou remariages impossibles et surtout personnages loufoques aux parures alambiquées. Parmi les stars ayant tourné dans ces films pour le moins haut en couleur il y a bien évidemment Cary Grant, trop souvent sous-évalué de nos jours aussi à l’aise dans Indiscrétions que L’Impossible Monsieur Bébé.

Interprètes idoines

Dans La Dame du vendredi, Hawks lui fournit un rôle à sa démesure, allant jusqu’à inverser les valeurs imputées aux sexes en vigueur. Si Walter Burns se présente comme un directeur de presse quasi omnipotent, il n’arrive point cependant à renoncer à l’épouse qu’il a délaissée au fil du temps. Plutôt qu’une approche frontale pour la récupérer, il va s’employer à ruiner son prochain mariage par une manipulation experte qui était pourtant l’apanage des personnages féminins à l’époque.

Quant à Hildy, sa future ex-femme, elle affirme son autorité constante sur les hommes devenant une sorte de mâle alpha, déroutant ainsi les mentalités d’après-guerre, n’hésitant pas à plaquer au sol un fuyard ou à rudoyer verbalement ses confrères. Grâce à ces caractères bien trempés, Hawks parvient à concocter un enchaînement de scènes savoureuses dont la frénésie du rythme ne se situe pas dans la narration d’ensemble, mais bel et bien dans chaque moment isolé. Pris dans le feu trépidant de l’action, les protagonistes vont échanger bons mots et plaintes acides alors qu’ils sont en perpétuel mouvement.

La mécanique du rire

Le flot volubile et l’agitation incessante permettent de soutirer rires et sourires sans jamais tomber dans la vulgarité et encore moins dans la blague forcée. Chaque trait d’humour est annoncé dans la séquence précédente, soumis à la manipulation des uns et à la crédulité des autres. Emportés par un tourbillon dévastateur, les personnages s’ingénient à se nuire gentiment entre eux pour le plus grand plaisir du spectateur. La scène réunissant Bruce, Hildy et Walter à la fin du long-métrage en incarne le parfait exemple.

Les deux hommes se disputent les faveurs de la belle quand cette dernière s’imagine repartir avec les honneurs. Entêté dans leurs obsessions propres et refusant de communiquer efficacement, chacun se renverra à ses responsabilités tandis que Bruce disparaîtra avec la fausse monnaie… piège élaboré par Walter quelques minutes plus tôt. Architecte de cet humour planifié, Hawks met à mal les convictions originales de ses protagonistes amenant ainsi l’effet comique escompté.

Sans limite

En outre, la grande force de La Dame du vendredi réside dans la surenchère cynique de son auteur aussi bien pour accentuer la drôlerie de son œuvre que de dépeindre un univers médiatique impitoyable. De scène en scène, les uns et les autres rivalisent de cruauté afin d’accéder à leurs fins. Leçon de machiavélisme échevelé, le long-métrage puise alors dans les racines de la noirceur le trait d’âme supplémentaire qui fera s’esclaffer un auditoire surpris par la volonté d’aller toujours plus loin dans l’humiliation de son prochain.

Cette approche quelque peu sadique constitue un moyen efficace pour Hawks de dresser un portrait sans concession du milieu des médias sous couvert d’une satire sociale comme l’annoncent les mots introduisant le générique. Journalistes carriéristes, policiers corrompus et politiciens véreux, tous sont à jeter… tous sauf les quelques simples d’esprit à l’image du condamné à mort, de son amie Molly ou encore du fonctionnaire maladroit Pettibone.

En réduisant l’intelligence ici à l’expression même des ambitions personnelles, Hawks ne ménage pas son courroux et ramène chacun à ses préjugés à l’instar de ses autres comédies L’Impossible Monsieur Bébé ou bien Les Hommes préfèrent les blondes. Sous couvert de faire rire, le cinéaste ne rate pas l’occasion d’égratigner son époque… et pressentait déjà celle à venir. Culotté comme ses deux amants, Hawks salera l’addition une ultime fois avec un dernier échange succulent… et encore plus cynique.

Porté par un Cary Grant une fois de plus au sommet de son art, La Dame du vendredi incarne la quintessence procédurale d’un genre sublimé par un metteur en scène en état de grâce. Film rendu iconique par le savoir-faire exemplaire de son auteur, La Dame du vendredi sous ses allures innocentes se drape d’une aura vénéneuse à souhait, réfutant tout compromis quand le long-métrage dessine l’opportunisme glaçant d’un monde en proie à une hypocrisie bienséante.

Film américain d’Howard Hawks avec Cary Grant, Rosalind Russel, Ralph Bellamy. Durée 1h22. Sortie le 30 août 1974

François Verstraete

Share this content: