Roumanie, 1941. L’armée allemande investit une forteresse proche d’un village paisible. Très vite, des événements étranges surviennent et les soldats succombent sous les attaques d’un inconnu. Venu en renfort, un détachement SS entame un massacre envers la population puis fait appel à un professeur juif et à sa fille afin de résoudre le mystère en cours.

L’Histoire du septième comporte son lot de long-métrages maudit, boudé par le public, conspué par la critique, ce fréquemment pour de mauvaises raisons et qui ont enduré une gestation dantesque, due à de multiples différends avec la production. Et très souvent, la question du montage final a occasionné moult conflits ! Parmi ces films, on retrouve Les Rapaces d’Erich von Stroheim, Macbeth d’Orson Welles, La Porte du paradis de Michael Cimino, Le 13ème Guerrier de John McTiernan et La Forteresse noire de Michael Mann.

Superbe travail photographique

Voilà pourquoi la reprise de ce dernier après des années d’invisibilité constitue un petit événement cinéphilique en soi, tant une aura culte entoure ce travail presque oublié du réalisateur de Heat. Adapté du roman éponyme signé par l’écrivain F. Paul Wilson deux ans avant sa sortie, La Forteresse noire a souffert d’un manque de moyens évidents tandis que son tournage erratique fut retardé par les conditions climatiques et la mort du superviseur des effets spéciaux ! À l’arrivée, après que sa durée ait été amputée de deux heures, il fut accueilli froidement et essuya un énorme revers en salles.

Une injustice ? Oui et non, car on repère très rapidement les défauts qui émaillent le récit, la faute en incombe à des ellipses insupportables causées par la perte de ces fameuses deux heures. En outre, certains reprochent le manque de finition d’un point de vue technique. Pourtant, si on fait fi de ces défauts, on découvre une œuvre somme remarquable, à l’ambition absolue. En effet, La Forteresse noire s’érige en fable horrifique et philosophique glaçante, dont l’efficacité repose autant sur la mise en scène impeccable de Michael Mann que sur une distribution au diapason (avec des noms tels que Ian McKellen ou Gabriel Byrne).

Regard avisé

Le temps de l’horreur

Existait-il une région plus appropriée que les Carpates, chère à Vlad Tepes, pour ancrer ce mélange des genres, entre film de guerre et fantastique, situé en pleine Seconde Guerre mondiale ? D’ailleurs, de nombreuses légendes urbaines circulent autour de l’affection supposée des nazis pour les sujets ésotériques et il est donc judicieux d’utiliser ici ce postulat et de le renverser, pour un résultat tétanisant. La relative quiétude dont jouit le petit village est troublée par l’irruption d’un envahisseur barbare, néanmoins allié de la nation.

La manière dont Michael Mann va introduire l’élément surnaturel et surtout la facette horrifique s’avère remarquable. L’approche du cinéaste se distingue par le parallélisme affiché entre la cruauté adoptée par le spectre dissimulé dans les murs et la celle employée par les pires bouchers de l’Histoire de l’humanité. L’avidité de quelques-uns déclenche un engrenage qui leur sera fatal. Contrairement à John Carpenter qui apprécie l’aspect indicible d’un Lovecraft, Michael Mann préfère quant à lui une construction todorovienne plus classique, bien qu’il invoque des forces tutélaires de la même veine que celles présentes chez le maître de Providence.

Quand le chasseur devient la proie

Personne n’ose ou ne veut croire à l’apparition d’une créature encore plus effrayante que les nazis eux-mêmes. Néanmoins, un souffle méphitique balaie une armée réputée invincible et terrorise tous ceux qui découvrent les cadavres. Pourtant, Michael Mann se refuse à tout recours à des gerbes d’hémoglobine, excepté quand ce sont les hommes qui font couler le sang des innocents. Et dans tous les cas, le pouvoir de la foi ne sauve ni les mécréants ni les justes.

Symbolisme et philosophie

L’explication sommaire répond à une logique symbolique et philosophique. En effet, le metteur en scène aspire à élever sa réflexion au-delà des concepts traditionnels du bien et du mal, ou du moins à délivrer une vision ultime, en éludant les divers degrés d’une réalité certes tangible, mais loin d’être nuancée. Ainsi, la métaphore liée à la croix entrelace une imagerie à la fois complexe et emplie d’une suffisance un poil racoleuse. Néanmoins, on ne peut que saluer l’entreprise de Michael Mann, même si elle était vouée dès le départ à se contredire durant son développement chaotique.

Couple atypique

On comprend que les forces extérieures ne sauraient s’affranchir de la volonté terrestre ; que les hommes se soumettent de leur propre chef à la croix gammée, au christianisme ou aux désirs d’un être diabolique. Prophètes et démons promettent, mais chacun conserve son libre arbitre. Et la pureté initiale peut se soustraire à l’envie de vengeance, bien que les meilleures intentions du monde aient motivé ce revirement. Michael Mann critique de fait aussi bien l’action que l’inaction, la passivité pouvant être autant dangereuse que l’alliance avec le mal.

Voilà pourquoi on est fasciné par le capitaine Woermann, qui s’est rangé du côté de l’armée allemande sans adhérer à l’idéologie nazie. Son caractère humaniste et sa clairvoyance contrastent avec la personnalité haïssable du major Kaempffer. Toutefois, en dépit de ses qualités, Woermann a flanché et n’a jamais embrassé ses convictions en s’opposant à un régime inique. Son attitude lâche dans une certaine mesure consent et participe à l’accession au pouvoir des démons dans ce monde.

La suprématie des démons

Et on devine assez nettement la dernière interrogation suggérée par Michael Mann, à savoir où le mal puise-t-il ses origines et quel lien unit nazis et créatures infernales. Cette analyse assez peu subtile, il faut le reconnaître, offre un discours assez sommaire et réducteur, expliquant que l’un ne survit pas sans l’autre, chacun s’abreuvant à la même source. Coupables d’exactions identiques, ils répandent souffrance et destruction sur leur passage, tandis que la pierre apportée ici à l’édifice paraît bien fragile.

Pacte avec le diable

Néanmoins, le réalisateur sauve quelque peu les meubles sur ce point, à travers le visage horrifique de son long-métrage, quand l’omnipotence du démon et des nazis est remise en cause. Les Allemands subissent le même sort que leurs victimes et Kaempffer découvre un charnier composé des restes de son unité, qui renvoie à ceux laissés par les siens. L’heure du jugement a sonné et le héros solitaire melvillien assène le coup de grâce, aidé il est vrai, par les quelques âmes encore charitables ou conscientes du drame en cours et à venir.

Michael Mann place quelque part sa confiance dans l’Homme, capable du pire et du meilleur. Déchéance ou rédemption, le cinéaste choisit son camp et accouche d’un film, certes imparfait, mais qui lui augurait déjà d’un futur radieux.  À (re)découvrir d’urgence !

Film américain de Michael Mann avec Scott Glenn, Alberta Watson, Jürgen Prochnow, Ian McKellen, Gabriel Byrne. Durée 1h36. 1983. Reprise le 14 mai 2025

François Verstraete

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