Érudit talentueux, mais non carriériste, He Yun-Tsing se voit confier la mission de recopier un canon bouddhiste capable de libérer les âmes des défunts. Quand il se retire dans la montagne au sein d’un lieu qu’il pense paisible, il ne se doute pas que son entreprise va attiser toutes les convoitises et que la mort rôde…

Pour les initiés du septième art chinois et autres adeptes du wu xia, le nom de King Hu n’est point inconnu, tant le réalisateur, même s’il fut peu prolifique, a marqué le cinéma de genre d’extrême orient. L’Hirondelle d’or, L’Auberge du dragon, A Touch of Zen ou encore Raining in the mountain sont autant d’authentiques chefs-d’œuvre qui font de lui, toutes proportions gardées, l’égal cantonais d’un Ford ou d’un Leone, tant son empreinte sur le film de sabre est prépondérante.

Pourtant si son style et son perfectionnisme lui ont valu les éloges des critiques du monde entier, ils n’ont fait que repousser peu à peu un large public lassé de son approche contemplative et des producteurs irrités par sa lenteur à tourner. C’est pourquoi il doit se diriger vers d’autres cieux, d’abord à Taiwan puis en Corée du Sud pour poursuivre sa carrière. C’est d’ailleurs au Pays du Matin Calme que seront réalisés successivement Raining in the mountain (considéré par beaucoup comme son travail le plus abouti), mais aussi La Légende de la montagne.

Les esprits et le sage

Le film se conçoit ainsi comme un objet fascinant, dans la continuité philosophique d’A Touch of Zen et de Raining in the mountain, même si King Hu opte ici pour un conte ésotérique plutôt qu’un wu xia pian. À l’origine, c’est sa compagne, ancien professeur universitaire de civilisation chinoise, qui lui insuffla l’idée de cette histoire de fantômes chinois, huit ans avant le film de Ching Tsiu Tung produit par Tsui Hark. Contrairement à ses œuvres précédentes, King Hu délaisse les scénarios à l’intrigue alambiquée, préférant cette fois-ci un récit simple et limpide, avec des enjeux certes archétypaux, mais d’une efficacité sans faille.

En revanche, il use toujours de cette narration lente et hypnotique qui avait déjà servi à merveille A touch of zen et Raining in the mountain. Ajoutant à cela, une once de poésie, le réalisateur élabore chaque scène avec une plastique dénuée du moindre défaut. Si King Hu a donc fait le choix de décomplexifier son histoire, il concentre par contre son attention au développement de ses protagonistes, par une exposition sibylline, loin de nombreux standards pétaradants et sans finesse. En outre, il n’est jamais avare en bons mots, l’alcool comme à l’accoutumée chez lui coule à flots, et l’empreinte du vaudeville plane pour mieux prendre à rebours la gravité de ton.

L’élégance du style

Qui plus est, son style et sa partition demeurent intacts, conservent leur magie innocente alors que l’action se déroule inexorablement. Distendre l’espace et le temps, tels sont les mots d’ordre du cinéaste. Cet espace, il le plie à sa volonté quand il le construit et le déconstruit, et que l’infiniment grand n’a plus d’emprise sur l’infiniment petit ; les grandes étendues chères au wu xia comme aux westerns occidentaux sont des refuges plus sûrs que des lieux retirés où la quiétude a laissé place à la perdition. Ce temps si précieux au départ devient des années lorsque He se noie dans le désir et le confort, oubliant par là même ce qu’il était venu chercher.

L’espace et le temps, des notions qui s’envolent aux sons distants et persistants de tambours, d’une musique salvatrice ou ensorcelante, qui bat non plus au rythme des cœurs, mais bel et bien des intentions immondes. À travers ce tumulte cosmique, la quête de la foi et de la sagesse est l’unique garante de salut. He Yun-Tsing rejoint alors ceux qui l’ont précédé de L’Hirondelle d’or à Raining in the mountain. Grand adepte de la philosophie orientale, King Hu prêche encore et toujours ses préceptes et valeurs jusqu’à l’épuisement. Quand ses personnages croient trouver l’amour, seul le devoir importe. Quand le combat fait rage, il faut faire preuve de mesure. Et quand vient le temps du jugement, arrive l’heure du discernement.

’Chant du cygne d’un auteur oublié aujourd’hui d’un large public, La Légende de la montagne se vit telle une expérience métaphysique où les spectres en quête d’illumination guident le spectateur vers un autre degré de conscience. Jamais grandiloquent, parfois espiègle, mais toujours fascinant par son sens de l’image épurée, King Hu s’est imposé comme un cinéaste certes à part dans le folklore local, mais surtout majeur par ses fulgurances dans le patrimoine international.

Film chinois de King Hu avec Hsu Feng, Sylvia Chang, Shih Chun. 1979. Durée 3h12.

François Verstraete

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