Japon. Fin du seizième siècle. Considéré comme élément perturbateur dans son village natal, Takezo rêve de devenir samouraï et de se couvrir de gloire. Il part guerroyer flanqué de son ami fidèle, Matahachi. Après la déroute de leur camp, ils battent la campagne et trouvent refuge auprès d’une veuve et de sa fille. Matahachi décide de rester à leurs côtés, trahissant sa fiancée Otsu. Takezo quant à lui rentre au pays où il reçoit un accueil loin d’être chaleureux…

Si on devait définir la destinée de Musashi Miyamoto par une réplique de cinéma, les mots de John Ford dans le western L’Homme qui tua Liberty Valance, si la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende, rempliraient à merveille cette tâche. Par conséquent, il est difficile de quantifier le nombre de récits écrits ou rapportés autour de Musashi Miyamoto, figure incontournable de l’Histoire nippone, et encore moins de discerner la vérité du mythe, la faute à un manque cruel de sources fiables. En revanche, peu peuvent contester son talent de bretteur ainsi que la portée de ses ouvrages, notamment dans le domaine militaire, dont l’importance égale en partie un certain L’art de la guerre de Sun Tzu…

L’aura d’un personnage aussi iconoclaste lui valut rapidement les faveurs du grand écran, si bien que Musashi devint l’un des héros les plus prisés du chambara (film de sabre japonais) aux côtés d’Ogami Itto (Baby Cart) ou encore de Zatoïchi. La plus célèbre adaptation de sa vie bien que très romanesque fut l’œuvre d’Hiroshi Inagaki, cinéaste peu prolifique, mais au savoir-faire indéniable. Une trilogie narrant les tribulations et exploits du bretteur vit donc le jour dans les années cinquante, avec un certain Toshiro Mifune dans le rôle phare, choix indiscutable tant l’interprète fétiche d’Akira Kurosawa venait de triompher dans Les Sept Samouraïs.

Destin insolite

Deux hommes aperçoivent un régiment passer près de leur village natal. L’un deux se met à rêvasser brièvement. Sa décision prise, il part rejoindre ce corps d’armée pour une bataille qu’il pense d’envergure. Son compagnon d’enfance s’empresse de le suivre. Takezo s’imagine en héros, acclamé à son retour. Sa quête ne rencontrera que tranchées, boue, mort et déroute. En quelques minutes, Inagaki dresse le portrait de deux amis nourris par les plus fols espoirs, mais qui vont rapidement déchanter, confrontés à une violence et à une réalité qu’ils n’envisageaient pas.

À partir de ce postulat, Inagaki construit un récit initiatique somme toute classique, dans lequel Takezo découvre à ses dépens les véritables vertus de l’héroïsme. Ici les faits d’armes du futur Musashi ne garantissent pas sa grandeur, mais au contraire lui causent un tort inattendu. Le metteur en scène transforme l’apprentissage de l’épéiste en chemin de croix, tandis que Takezo doit expier son orgueil, son égocentrisme, sa vanité pour mieux renaître de ses cendres. Les rares moments idylliques se dissipent toujours rapidement au profit de longs instants de doute, de traque et d’emprisonnement.

Initiation d’un vrai guerrier

Son calvaire trouvera écho dans bon nombre d’œuvres orientales par la suite, le film de sabre affectionnant en particulier cette facette christique, à commencer par le célèbre wu xia La rage du tigre. Sur son chemin, Takezo, incarné à la perfection par un Toshiro Mifune déjà au sommet de son art, croise une galerie de personnages hauts en couleur, aux caractères ambigus, bien loin souvent des clichés en usage dans le cinéma de genre nippon de l’époque (excepté bien entendu chez Kurosawa).

Le temps suspend son vol uniquement lors des échauffourées durant lesquelles la lame de bois ou d’acier de Tekazo désarçonne et met à terre ses opposants, avec une aisance déconcertante. Parce qu’elles refusent cette part d’esbroufe coutumière, ces scènes généralement anti-spectaculaires accentuent d’autant plus la tension dramatique entre les combattants.

Récompensé deux ans plus tard par l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, La Légende de Musashi sans accéder au panthéon des chefs-d’œuvre du cinéma japonais eut le mérite en revanche de présenter un superbe apparat au service d’une icône emblématique. Méthodique et astucieux, Inagaki accoucha sans doute d’une des plus belles versions du mythe jamais vues sur grand écran.

Film japonais d’Hiroshi Inagaki avec Toshiro Mifune, Rentarô Mikuni, Mariko Okada. Durée 1h34. 1954. Sortie le 4 août 2021 en version restaurée.

François Verstraete

Share this content: