Depuis plusieurs années, observateurs et cinéastes se sont dressé vent debout contre le super héros américain, sous l’impulsion de Martin Scorsese. Les raisons de cette fronde sont multiples bien entendu, néanmoins on peut surtout parler de la peur de l’écroulement de tout un écosystème dû aux budgets démesurés nécessaires à de telles entreprises et de la pauvreté créative soi-disant présente chez Marvel et consorts.

Cependant, une certaine mauvaise foi intellectuelle se dissimule derrière ces craintes, puisque les risques financiers pour le septième art ne concernent pas uniquement le MCU et lesdites lacunes créatives s’appliquent également à l’ensemble de l’industrie. Outre la filiation Scorsese Tarantino qui nuit grandement à la mise en scène d’une nouvelle génération d’auteurs, on peut aussi relever le danger représenté par une vague nostalgique qui s’est emparée d’Hollywood (et d’autres productions locales d’ailleurs), censées titiller la mémoire collective.

Pour beaucoup, le cinéma c’était mieux avant et d’une certaine manière cela s’avère vrai, bien que l’époque des Ford, Murnau, Mankiewicz, Ozu ou Renoir remonte à une éternité. Ah, on ne pense pas à ces réalisateurs quand on évoque les bienfaits du passé ? Hélas, non, on préfère replonger pour certains en enfance ou se reposer sur les souvenirs de nos aînés proches, comme pour se rappeler d’un temps faussement béni où tout se déroulait dans le meilleur des mondes (à savoir les années quatre-vingt, quatre-vingt-dix). Cette chimère renvoie à des idées reçues très éloignées de la vérité, tout comme celles concernant la qualité des œuvres projetées sur grand écran.

Madeleine de Proust

Le courant d’air qui traverse le septième art aujourd’hui, l’affecte depuis bien plus longtemps, après la fin du Nouvel Hollywood et la chute de la United Artist suite à l’échec de La Porte du Paradis. Après ce revers, les studios ont démultiplié des productions assez grotesques, actioners bas de plafond en série qui n’ont rien à envier en termes de médiocrité à The Flash ou à Madame Web.

Il ne faut pas croire que ces années soi-disant fastes n’ont accouché que de films de la trempe de Blade Runner, Excalibur ou Il était une fois en Amérique, que la décennie suivante n’a engendré que des Impitoyable, Les Affranchis ou Ghost in the Shell. Si beaucoup regardent cette période avec des yeux de Chimène, ils ignorent probablement qu’elle a surtout annoncé l’amenuisement de l’exigence à l’égard du cinéma et que la fameuse culture populaire, en dépit de toutes ses qualités, a permis l’avènement de réalisateurs, sans doute bons techniciens, mais loin d’être géniaux (de James Cameron à Tony Scott).

Il est donc assez triste que désormais, l’industrie s’appuie sur cette ère pour redorer le blason de quelques titres, à l’aide d’une politique racoleuse certes couronnée de succès. Parmi les grands gagnants, on retrouve par exemple Top Gun : Maverick. Le premier volet avait été en partie conspué par les spécialistes à sa sortie en 1986 et son successeur, quant à lui, porté aux nues (il faut savoir que Top Gun a été financé partiellement par l’Us Navy afin de sauver le F14, un objectif pas si noble et philanthropique).

 Réhabilitation inutile ?

Pourtant, le pire n’est pas tant de ressusciter ces cadavres, qui auraient dû sans doute continuer de rester dans leurs tombeaux, mais de réhabiliter certaines œuvres, absolument indéfendables ! Cette tendance initiée notamment par les amateurs de pop culture, enfermés à tort dans un ghetto intellectuel sur une trop longue durée, souligne à la fois un désir de reconnaissance et aussi une volonté de se démarquer des courants traditionnels ; des velléités louables certes, qui ont toutefois amené à réévaluer des étrons de toute sorte, à commencer par bon nombre de films de Michael Bay ou de Roland Emmerich, détruits par la presse il y a trente ans (y compris par celle versée dans le cinéma de genre).

Et il faut intégrer dans le lot quelques perles encore plus discutables telles que Twister (remis au goût du jour avec la suite sortie en été 2024) ou Le Cinquième Élément. À force de se concentrer uniquement sur le déficit qualitatif généré par le MCU ou DC (et on est contraint de nuancer parfois les attaques à leur encontre), on se (sur) prend à honorer ce que l’on brûlait jadis, à juste titre, au lieu de se pencher sur ce que le septième art a de mieux à offrir… mais le pire survient quand on assiste à une éclosion de franchises nées de cette revalorisation, voire à l’influence de ces travaux lamentables exercée sur la production actuelle.

 Quid du fan service ?

 Par ailleurs, ont doit soupeser l’emploi de cette sensibilité nostalgique à travers le concept de fan service, cette propension à titiller l’intérêt du spectateur en lui proposant, en guise de dessert, des références ponctuelles issues d’autres matériaux (propre aux films de super-héros) ou d’œuvres antérieures. Ainsi, Ready Player One incarne l’exemple le plus flagrant de ce procédé racoleur, tout comme Stranger Things, développée par Netflix. Le plus navrant, c’est la condescendance sous-jacente qui émane de cette démarche ; elle sous-entend que désormais le public, démuni d’une culture classique, se contente à présent des miettes et se voit incapable d’appréhender autre chose qu’une production bon marché.

On oublie pourtant qu’une telle entreprise pharaonique a été accomplie par Balzac et sa Comédie Humaine ou sur grand écran par François Truffaut avec les aventures d’Antoine Doinel. Cependant, jamais l’inclusion de cette méthode chez Balzac ou Truffaut, n’occultait la maîtrise formelle. Aujourd’hui, elle se substitue aux impératifs de la mise en scène, ne laissant derrière elle qu’un brouillon stylistique. Citer et ressasser ne camouflent en aucun cas l’absence de savoir-faire, n’en déplaise même à Tarantino. Et d’immenses longs-métrages chers à la culture populaire n’ont pas besoin d’appliquer cette formule pour fonctionner.

Il serait donc souhaitable de s’extirper de cette spirale infernale ; sans dénigrer forcément un passé relativement proche, il existe un fossé entre apport réel et supposé, créé par une perception enjolivée non seulement par l’émotion, mais également par la roublardise d’hommes d’affaires peu scrupuleux. Triste constat…

François Verstraete

 

Share this content: