Les diatribes émises par plusieurs cinéastes et critiques envers les films de super-héros généralisent injustement un genre et résument ses fruits à des productions bon marché, jetables et dépourvues d’intérêt. Pourtant, le surhomme américain a accouché de superbes moments au septième art, ce bien au-delà de ses prouesses démesurées. Ainsi certains réalisateurs ont habilement pointé du doigt la faille dans la cuirasse de ces êtres invincibles, à l’aide d’exercices formels maîtrisés, permettant de renouer avec l’aspect soap opera du matériau d’origine. Et on pense de fait, au sommet proposé par Sam Raimi à l’occasion de Spider-Man 2, qui n’hésitait pas à tirailler son jeune protagoniste de toutes parts. Or, si beaucoup retiennent l’impressionnante scène du tramway, point d’orgue de son introspection christique, on relèvera plutôt ici celle clôturant la mise en place, présentant une conversation téléphonique a priori banale et pourtant si brillante dans sa démonstration.

Alors qu’il a déçu une énième fois Mary-Jane la veille, en ratant son spectacle, Peter Parker l’appelle le lendemain et entame le dialogue par le biais de sa messagerie. Cette séquence, loin d’être anodine, englobe toutes ses préoccupations du moment ; le fardeau imposé par son alter ego et son incapacité à mener de front cette double vie avec ses obligations quotidiennes ou ses relations sentimentales et amicales. En outre, en refusant un face à face direct champ contrechamp, Sam Raimi renforce le malaise d’une situation induite par des non-dits, des mensonges et contraint Peter à se livrer au jeu de la vérité suite à une nouvelle déconvenue.

Quand un mince espoir apparaît et que Mary-Jane s’apprête enfin à décrocher, l’appel cesse, faute de crédit dans la cabine. Ce rebondissement de la vie ordinaire symbolise cette malchance qui colle au protagoniste, mais permet d’offrir quelques secondes d’une étonnante intensité, lorsque Peter se confesse à une correspondante imaginaire et avoue les raisons de ses errances. Ces quelques instants se transforment en éternité et témoignent du talent du réalisateur ; transcender tous les clichés d’une comédie romantique, pour les soumettre aux exigences d’un blockbuster super-héroïque, tout en soulignant le caractère sacrificiel par une pirouette déjà vue, mais ici sublimée par sa simplicité d’exécution. Ou comment l’insignifiant crédibilise l’incroyable et insuffle par conséquent une subtilité inconcevable sur le papier.

Spider-Man 2, film américain de Sam Raimi avec Tobey Maguire, Kirsten Dunst, James Franco, Alfred Molina. Durée 2h08. 2004

François Verstraete

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