Années 80, Nord de la France. Jackie et Clotaire, deux adolescents très différents, tombent amoureux. Elle est studieuse alors qu’il s’adonne à de menus forfaits. Puis tout se délite et ils sont séparés. Mais leur lien est si puissant qu’ils se retrouvent une décennie plus tard.

Hormis les comédies, les feel good movies et quelques films de cape et d’épée, les superproductions françaises ont dû mal à se distinguer par leur originalité, copiant très souvent la recette du voisin, avec plus ou moins de succès à la clé. Néanmoins, certains réalisateurs essaient de se démarquer des tendances hexagonales, affichant une singularité peu commune, revendiquant généralement des influences étrangères. On citera à cet effet Le Pacte des loups de Christophe Gans ou Le Chant du loup d’Antonin Baudry. Et aujourd’hui, c’est au tour de Gilles Lellouche d’arpenter des sentiers non balisés avec L’Amour ouf, qui lorgne autant du côté du cinéma de Martin Scorsese que de West Side Story.

Pleins phares

L’acteur-réalisateur avait déjà triomphé par le passé, à l’occasion de son premier long-métrage derrière la caméra, Le Grand Bain. Il espère rassembler la même ferveur avec ce nouveau projet, basé sur le roman de l’écrivain irlandais Neville Thompson, qu’il avait découvert par l’intermédiaire du comédien Benoît Poelvoorde. D’ailleurs, il n’a point hésité à intégrer ce dernier à la distribution, ainsi que François Civil, Adèle Exarchopoulos et Karim Leklou, avec qui il avait partagé la vedette de Bac Nord. S’ajoutent également à ce parterre d’interprètes, Élodie Bouchez, Alain Chabat, Vincent Lacoste ainsi que les prometteurs Malik Frikah et Mallory Wanecque.

Nanti d’un budget imposant (près de quarante millions d’euros) et s’appuyant sur une somme de talents affirmés, L’Amour ouf est donc né, à priori, sous une bonne étoile ou plutôt une bonne éclipse. Mais comme l’explique Benoît Poelvoorde au détour d’une conversation, le sacrilège constitue le meilleur des alibis. Avec cette réplique, l’auteur légitime de manière sous-jacente une mise en scène racoleuse et paresseuse, qui n’évite ni les clichés ni les excès, accouchant de fait d’un essai superficiel.

Perplexité

Jeux d’enfants

Gilles Lellouche applique dans sa première partie, sans génie ni créativité, la leçon gagnante du retour dans les années quatre-vingt, sans expliquer que toutefois, c’était mieux avant (mais un peu quand même) avec sa bande-son à l’appui (The Cure), pour illustrer le malaise de ses adolescents, mais aussi leurs espoirs et leur idylle naissante. Or, il déçoit d’autant plus, car l’environnement et la caractérisation de ses protagonistes favorisaient un terrain d’expression passionnant, tant sur le plan humain que social.

En s’ancrant dans le Nord de la France, cette région dévastée d’un point de vue économique, le long-métrage respectait en partie le postulat du roman d’origine, soulignant davantage la situation difficile vécue par la famille de Clotaire. Ce dernier, élevé avec froideur et violence par son père, ne connaît pas vraiment la chaleur d’un foyer, en dépit du réconfort maternel. Tout le contraire pour Jackie, issue d’un milieu plus aisé, mais orpheline de mère, qui cherche non pas un but, mais un à un sens à son existence.

La romance grandissante entre ces deux êtres frappés par le destin est hélas montrée sans tact et avec tous les stéréotypes ou allégories déjà vues maintes fois. Gilles Lellouche désire amadouer avec des dialogues percutants ou une construction visuelle pétaradante, mais on devine son manque de sincérité dans son entreprise. Il agace malgré son couple de comédiens, assez bien choisi et dirigé, même s’ils en rajoutent par moments.

Le pas léger

Une souris, pas une montagne

Le pire survient au moment de traiter de l’âge adulte. Rien n’est épargné au spectateur ; les poncifs s’accumulent comme le recours au vulgaire, au choc soi-disant chic ainsi qu’au défilement de personnages à peine esquissés engoncés dans leur psychologie sommaire. Aucune performance, aussi brillante soit-elle, ne permet de nous intéresser ou de s’attacher à cette galerie de perdants mal aimables (un comble au regard du titre du long-métrage).

Le réalisateur n’a même pas l’excuse de naviguer à vue, car il pense dupliquer la formule idoine pour engendre un film culte, celle trop souvent employée par les adeptes de Quentin Tarantino (on se remémore du souvenir douloureux du Monde est à toi). Victime du péché d’orgueil, il s’époumone, s’échine et se démène, à l’image de son protagoniste, sans se préoccuper des dommages collatéraux, c’est-à-dire du résultat global. En bâtissant sa narration sur un système de renvois permanents et d’effets miroirs, il parviendra peut-être à séduire quelques incrédules.

Plus jamais ça

Néanmoins, il ne faut surtout pas se laisser duper par ces mirages en trompe-l’œil, articulés autour d’une exposition et d’une conclusion faussement cryptiques, seulement enclines à des débats de comptoir. Aucun mystère ne transpire de ce dispositif, juste le constat d’un échec formel sur toute la ligne. Et il n’y aura nul retour en arrière, uniquement des regrets sur ce qui aurait pu être, mais ne sera jamais. Le cinéaste a beau se convaincre du contraire, il campe sur ses positions alors qu’il clame haut et fort qu’on a toujours le choix, morale, réductrice et insidieuse de son long-métrage.

Bien évidemment, les vents capricieux du box-office souffleront peut-être en faveur de L’Amour ouf et il acquerra, par la force des choses, un statut culte immérité. Cependant, il sera préférable que ses gros sabots et son discours malhonnête fassent fuir un public avisé plutôt que de l’abuser. Quant à Gilles Lellouche, il devrait se concentrer sur sa vocation d’acteur…

Film français de Gilles Lellouche avec François Civil, Adèle Exarchopoulos, Malik Frikah, Mallory Wanecque. Durée 2h40. Sortie le 16 octobre 2024https://www.youtube.com/watch?v=bSbA6Aeydbs

L’avis de Mathis Bailleul : Avec L’Amour ouf, Gilles Lellouche propose son film le plus inspiré techniquement et esthétiquement. Dommage cependant que tout parait artificiel, servant à masquer un scénario ambitieux qui s’embourbe avec son ellipse, sa romance contredite et son récit de gangster pataud.

François Verstraete

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