De retour dans son foyer natal, ses obligations militaires accomplies, Hazel retrouve sa demeure familiale délabrée et abandonnée. Il décide donc de partir en ville, pour « y faire des choses qu’il n’a jamais faites ». Sa rencontre avec Asa, un prêcheur escroc va bouleverser profondément ses croyances, mais également sa confiance en l’humanité. Il se résout alors de fonder une Église sans Christ…

John Huston appartient à la rare caste des metteurs en scène privilégiés qui a débuté en plein âge d’or du cinéma hollywoodien puis a traversé les décennies contre vents et marées avant de s’éteindre durant la seconde moitié des années quatre-vingt. Friand de littérature, le réalisateur s’oriente rapidement vers des adaptations fidèles aussi bien d’ouvrages classiques mondialement connus que de que d’autres, beaucoup plus confidentiels.

Inspiration littéraire

On notera pêle-mêle bien entendu Le Faucon maltais, Reflets dans un œil d’or, Casino Royale, Moby Dick et enfin son sommet crépusculaire personnifié par Les Gens de Dublin. Le Malin quant à lui se base sur le récit de Flannery O’Connor, La Sagesse du sang, roman méprisé par la critique à sa sortie dans les années cinquante, mais qui acquiert par la suite ses lettres de noblesse à l’international au point de devenir une œuvre culte selon les critères d’aujourd’hui.

Lorsqu’il se lance à corps perdu dans la transposition du roman sur grand écran, John Huston erre comme un fantôme du passé en pleine période du Nouvel Hollywood, malgré le succès quelques années plus tôt de L’Homme qui voulut être roi. Hanté par ses démons (notamment l’alcool), Huston peine de plus en plus à trouver producteurs et financements pour ses projets, à contre-courant des désidératas du public de l’époque. C’est pourquoi, nanti d’un budget dérisoire, il s’en va tourner dans l’état de Géorgie à la tête d’un casting hétéroclite composé pour l’essentiel d’acteurs et actrices de second plan. Finalement, une aubaine au vu du sujet et des thématiques abordés !

Une rencontre inévitable

Soutenir que John Huston affectionne particulièrement les perdants, magnifiques ou pathétiques, autodestructeurs à son image, réduit en partie le caractère travaillé de ses personnages. En revanche, il est impossible de nier le côté entêté, obsessionnel de ses protagonistes. C’est pourquoi la rencontre entre Huston et la figure d’Hazel n’a rien de fortuit, mais résulte du croisement des destinées d’un auteur et d’une fiction pas comme les autres.

Au point d’affirmer que le rôle campé par Brad Dourif incarne ni plus ni moins que l’archétype final si prisé par John Huston. Le metteur en scène situe le décor du long-métrage en plein cœur du Sud des États-Unis à une époque incertaine accentuant l’aspect intemporel de l’ensemble. Pourtant certains indices surgissent régulièrement, soulignant aussi bien le contraste entre désuétude architecturale et modernisation urbaine que des traits sociétaux archaïques encore trop bien ancrés, bigoterie, xénophobie et racisme en tête.

Obscurantisme

Conçue comme une farce absurde qui vire rapidement à la tragédie, Le Malin profite de l’occasion pour dresser un portrait amer d’une Amérique loin d’offrir un rêve pour tous ses citoyens tandis que la religion, socle identitaire fort de la nation cède aux sirènes de l’apparat et du mercantilisme. Le spectateur suit alors les pérégrinations d’un jeune révolté, héros pitoyable d’une guerre récente, élevé sous la férule de croyances étouffantes. Hazel tient autant de Don Quichotte, du martyr, mais aussi du bouffon aveugle. John Huston s’amuse donc à l’ériger en fausse idole, prophète d’une nouvelle ère illusoire ou être cruel et touchant dans son calvaire.

Incapable de communiquer et surtout de se faire entendre dans sa croisade, Hazel sermonne vainement au pays de l’argent et des chimères. À ce petit jeu, la mise en scène de Huston fait mouche quand le flot de paroles volubiles du jeune prêcheur se perd parmi les voix tonitruantes d’un autre prédicateur ou celles d’interlocuteurs tantôt obstinés, tantôt indifférents. Un sacerdoce malheureux donc qui repose sur un quiproquo original vestimentaire et dont Huston n’aura de cesse de s’attarder. Pourtant, à l’heure du bilan, seul importe l’attention, l’affection, la chaleur refusée d’une relation paternelle, amicale, sentimentale. Huston interroge alors sur le peu d’humanité subsistante au sein d’une soi-disant communauté fraternelle.

Tableau féroce d’une société fondée historiquement sur la foi, Le Malin n’épargne ni les dévots, ni les escrocs et encore moins les prédicateurs. Grand film sur la solitude, Le Malin regorge d’anecdotes brillantes à défaut de se poser en chef-d’œuvre incontesté. En suivant le destin funeste d’Hazel, le spectateur découvre avec horreur les dysfonctionnements d’un petit monde typique à travers le regard facétieux et macabre d’un auteur incontournable.

Filma américain de John  Huston avec Brad Dourif, Ned Betty, Harry Dean Stanton. Durée 1h46. 1979. Sortie en Blu-ray aux éditions Carlotta le 7 avril 2021

François Verstraete

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