Lorsque Avengers : Endgame triomphe en salles en 2019, Disney et le producteur Kevin Feige s’imaginent trôner indéfiniment sur la culture populaire mondiale. Pourtant, six ans après, la courbe s’est inversée et la franchise du Marvel Cinematic Universe essuie non seulement des attaques assassines de la part des critiques (exhortés sans doute par la vindicte initiée par Martin Scorsese et ses consorts contre le genre), mais aussi par de nombreux admirateurs de la première heure. Cette volte-face, impensable encore fin 2019, souligne pour certains la lassitude du public vis-à-vis du surhomme américain et de la qualité décroissante de ses productions (chez Marvel, mais également chez DC).
Néanmoins, tandis que l’on brûle ce que l’on encensa jadis, il faut remettre en perspective une évolution de la ligne éditoriale chez Marvel Studios qui nuit désormais au développement des films de la licence. Aujourd’hui les tendances volatiles et la mauvaise foi intellectuelle exacerbent les passions, aveuglant notre bon sens et notre propension à la nuance. Quand Joss Whedon accouchait d’Avengers en 2012, il proposait un travail assez remarquable qui conquit observateurs et spectateurs. Pendant très longtemps, Marvel Studios s’est distingué par des bas et par des hauts, hauts que l’on balaie d’un revers de la main dans une ère visant à rejeter les blockbusters super-héroïques, même s’ils ne sont point les seuls à blâmer.

Au lieu de se lancer dans une chasse aux sorcières, il serait préférable de comprendre pourquoi (et comment) la firme a détruit sa poule aux œufs d’or (et on n’évoquera pas ici les pseudo causes sociétales, qui ne sont point à l’origine de la chute de Captain America et ses amis), en se pliant à certains critères idiots, censés augmenter sa notoriété. En cédant aux sirènes de la facilité, Kevin Feige a précipité sa perte…
La patte Joss Whedon
Pourtant, tout avait bien commencé pour le MCU, avec un début en fanfare amorcé par le Iron Man de Jon Favrau, qui ne révolutionnait en rien le genre, mais déposait une marque de fabrique. En empruntant le principe des origines cher à Richard Donner, l’acteur-réalisateur injectait à sa formule gagnante un brin d’humour, beaucoup d’action « jamais » vue, permise, il est vraie par les progrès de la technologie et un soupçon de psychologie de comptoir. Surtout, l’interprète du protagoniste, Robert Downey Jr, donnait corps et crédibilité à l’ensemble.
Et l’une des grandes forces de la production résidait durant la première phase, dans son choix de la distribution, entre têtes d’affiche confirmées issues du cinéma d’auteur (Samuel L. Jackson, Scarlet Johansson, Mark Ruffalo), nouveaux visages au potentiel certain (Chris Hemsworth, Tom Hiddleston, Jeremy Renner) et acteurs talentueux, plombé jusque là en raison de décisions de carrière douteuses (Chris Evans). Quelle que soit la qualité intrinsèque du long-métrage, chacun parvenait à tirer son épingle du jeu et à incarner de manière crédible tel ou tel surhomme. Contrairement aux idées reçues dernièrement, le personnage ne prenait pas forcément le dessus sur le comédien, car on ne pouvait en rien enlever son charisme naturel ou sa capacité à se transcender.

Par ailleurs, l’influence de Kevin Feige était moins prépondérante jusque Avengers : L’ère d’Ultron. Ainsi, les metteurs en scène bénéficiaient d’un minimum de liberté pour développer leur projet avec plus ou moins de succès. Par conséquent, Joe Johnston et surtout Joss Whedon ont pu se distinguer favorablement. Voilà pourquoi Captain America : First Avenger et le premier Avengers étaient si réussis ou que Captain America : Le Soldat de l’hiver affichait les belles dispositions d’une fratrie Russo, pas encore plombée par le formatage imposé depuis par le studio.
La jurisprudence Deadpool
Cette lente standardisation a finalement commencé avec le retrait de Joss Whedon, suite à un tournage très compliqué d’Avengers : L’Ère d’Ultron. D’une certaine façon, l’âge d’or du MCU, en termes de qualité et d’originalité était terminé avec cet opus mitigé, mais intéressant sur bien des points ainsi que le beau succès des Gardiens de la Galaxie, sortie l’année précédente (le dernier bon film de James Gunn ?). Sans Whedon (qui avait contribué au scénario de Captain America : First Avenger en sus de ceux des deux Avengers), Kevin Feige a inexorablement refermé son emprise sur la gestation des longs-métrages à venir. Sans son auteur phare, le MCU allait se plier aux sirènes du fan services et de l’humour gras.

La faute en incombe au phénomène Deadpool en 2016, vaste farce sans intérêt qui démontrait que l’on pouvait rire aux dépens du public et introniser une forme d’exagération dramatique quand le cinéaste en charge était incapable de proposer une quelconque mise en scène. Une formule que Kevin Feige s’est empressé de s’approprier, peu confiant dans le savoir-faire de ses réalisateurs (qu’il avait lui-même engagés). Voilà pourquoi, à partir de ce moment, toute tension à l’écran était désamorcée par une plaisanterie, ostentatoire, à peine digérée.
Certes, l’humour a souvent été le moteur du comic book et de ses adaptations, à commencer par Spider-Man. Et Whedon en injectait dans Avengers. Néanmoins, cette propension comique était déployée à bon escient, calculée et intégrée avec parcimonie. Désormais, le processus en roue libre initié par Kevin Feige agace, y compris dans Avengers ; Infinity War, pourtant assez apprécié du public et de la critique, avec pour exemple, l’interruption impromptue de Drax lors d’une conversation intime entre Star-Lord et Gamora.

Y a t-il encore un pilote dans l’avion Marvel ?
Voyant que sa méthode fonctionne à merveille (les scores en salles de la saga sont faramineux jusqu’à l’apogée Endgame), Kevin Feige a accentué davantage son contrôle sur les cinéastes qui devenaient de fait, des pantins du patron de Marvel Studios. En outre, le recrutement par la firme de personnes de moins en moins compétentes derrière la caméra a accéléré la chute en termes de qualité de l’ensemble. Ajoutez à cela la crise du Covid, le tout était destiné à faillir et la discorde avec le public, même avec les admirateurs de la première heure, prête à être consommée.
Les entrées automatiquement générées ne sont plus qu’un souvenir avec des désastres immérités (cf. le naufrage injuste des Éternels) et Disney/MCU aura dû attendre Deadpool and Wolverine pour franchir de nouveau le cap du milliard de recettes (il ne faut pas oublier que No Way Home dépend de Sony) avec la franchise. Le pilote Feige se cherche et l’avion MCU tangue, pas aidé non plus par les diatribes de ses opposants, pas très objectifs non plus (ils ne pointent pas autant du doigt certains concurrents qui ne font guère mieux, voire pire).
Et il serait aussi correct de s’attarder sur cette cabale désirant que le genre, soi-disant inutile, devrait être balayé par l’Histoire tandis que le MCU n’aurait comme unique intérêt que de servir de pop corn insipide. Une réflexion et une velléité inique tant qu’il ne souffre pas plus d’écueils que d’autres superproductions (de John Wick à Avatar en passant par Mission Impossible). Or, il serait donc temps de nuancer les propos et de reconnaître l’impact autant négatif que positif sur la culture populaire, de par son efficacité, du super-héros, y compris ceux issus de l’écurie Marvel. Certes, rien ne va plus, mais l’espoir, même mince demeure, entretenu en partie par l’imminent Fantastic Four : First Step.
François Verstraete
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