Au dix-septième siècle, la princesse Asa et son amant diabolique sont torturés puis ensevelis par l’inquisition pour sorcellerie. Deux cents ans plus tard, un médecin trop curieux et son acolyte vont réveiller par inadvertance la maîtresse des enfers. Une course contre la montre s’engage pour vaincre la créature des ténèbres…
Lorsqu’il tourne Le Masque du démon en 1960, Bava n’a que peu de long-métrage en qualité de réalisateur à son actif. En revanche, il possède déjà une solide expérience comme chef-opérateur et assistant, acquise auprès des plus grands de Raoul Walsh à Roberto Rossellini ! À cette même période, le studio La Hammer connu pour ses nombreux films fantastiques entame sa période glorieuse, porté par les travaux de Terence Fischer et Peter Cushing.
Avec Le Masque du démon, Bava ne va pas seulement saisir sa chance, mais va aussi rivaliser de maîtrise avec les auteurs anglo-saxons. Le Masque du démon puise son inspiration autant dans les écrits de Bram Stocker, les diverses légendes d’Europe de l’Est, que dans l’iconographie mythologique traditionnelle. Film de vampires, Le Masque du démon s’éloigne néanmoins en partie de l’œuvre de Tod Browning bien que sa narration classique n’ait rien à envier aux longs-métrages du metteur en scène de Freaks.

Mécanique imparable…
L’exposition marque d’emblée les esprits. Ligotés et prêts à être jetés en pâture aux flammes, deux supposés vampires, suppôts de Satan présumés, issus pourtant de nobles lignées sont condamnés par la toute puissante inquisition. L’apposition du masque du démon aux pointes acérées, conçues pour lacérer les chairs à vif, vécue en vue subjective, engendre un sentiment de malaise et d’effroi. Le calvaire enduré par la sorcière, suggéré ce à la première personne, amplifie le désir de vengeance évoqué à l’écran. Les péchés des ancêtres, bourreaux comme victimes, pèseront lourd dans la balance à l’heure des règlements de compte.
Dans le long-métrage, la narration repose sur un engrenage limpide de cause à effets venant soutenir un conte macabre jamais dispendieux d’élans poétiques, à la recherche d’un équilibre entre bien et mal symbolisé par un jeu fascinant d’ombres et de lumières digne d’un Tourneur. L’entrée du professeur et de son élève en Moldavie en est un exemple flagrant. La plongée dans une forêt ténébreuse puis dans le dédale d’un caveau maudit installe cette atmosphère photographique si réussie.

La mécanique de causalité évoquée plus tôt se montre implacable : la vanité du professeur, son égocentrisme, l’amène à renier la sagesse élémentaire qui devrait lui incomber pour davantage sceller le sort funeste destiné à son entourage et au reste de la région. Bava n’insiste jamais sur son erreur, affichant plutôt une curiosité grandiloquente tout au plus délaissant des effets démonstratifs ostentatoires. Palabrer n’explique jamais mieux que les images saisissant les ombres, spectres dormant à chaque recoin d’une pièce isolée, sans un mot, sans un bruit. Un échange de regards et des visages éclairés subtilement incarnent bien plus un coup de foudre qu’une musique pétaradante.
pour une esthétique parfaite
Cette maîtrise de la photographie atteint son paroxysme durant la métamorphose finale, où la jeune noble, telle un phénix, renaît de ses cendres, illuminées subrepticement. On se souvient alors de l’expressionnisme du Nosferatu de Murnau pendant ce court instant. Entretemps, Bava aura récité quelques vers en image, Le Masque du démon devient au fil des minutes poème gothique, chargé de fureur et de mélancolie. La peur surgit toujours au moment le plus inattendu, vécue non pas par ceux qui subissent l’horreur, mais le plus souvent par ceux qui en sont les témoins.

Dans cette hécatombe, chacun essaie de s’extirper de son tombeau que ce soit Asa et son compagnon, ou l’infortuné Constantino venant prêter maint forte au dernier espoir de sa sœur avant de succomber. Puis, il y a cette iconographie aussi bien représentée par les tableaux ornant le château que les différents mythes dans lesquels Bava puise son inspiration. Outre les légendes d’Europe de l’Est et l’ombre de Dracula, il y a cette scène renvoyant à l’Ankou breton. Une jeune villageoise impuissante assiste à l’enlèvement du professeur par un cocher diabolique. Le début d’un funeste destin.
Il est amusant de souligner qu’en dépit de son apport au giallo et d’une filmographie relativement prolifique, que Mario Bava ne parviendra jamais à réitérer le miracle du Masque du démon. Long-métrage à l’indéniable beauté plastique, sensuel et vénéneux, Le Masque du démon se soustrait à la vulgarité qui fera trop souvent défaut au genre et surtout à une certaine facilité de mise en scène. Une autre manière de percevoir les semblables de Dracula, sans oublier l’esthétique des œuvres de Tod Browning ou de la Hammer.
Film italien de Mario Bava avec Barbara Steele, Checchi, John Richardson. Durée 1h25. 1960
François Verstraete
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