France, 1764. Une mystérieuse créature décime femmes et enfants au cœur du Gévaudan. Deux ans plus tard, le chevalier Grégoire de Fronsac, naturaliste du roi, est dépêché par Buffon afin d’aider les autorités à débusquer le monstre. Épaulé par son fidèle compagnon Mani, Fronsac va faire la connaissance de la noblesse locale, la famille de Morangias, Thomas d’Apcher puis découvrir les sombres secrets dissimulés dans cette province reculée…
Peu habituée ces vingt-cinq dernières années à soutenir des superproductions orientées vers le cinéma de genre (j’écarte l’œuvre pathétique, pour rester poli, de Luc Besson), peut-être complexé par les blockbusters venus d’outre-Atlantique, l’industrie française aura tout de même accouché de trois incursions dans le domaine de la démesure, notables et surtout réussies. Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre signé Alain Chabat, le remarquable Le Chant du loup d’Antonin Baudry et bien évidemment, Le Pacte des loups de Christophe Gans.
Mariage franco-asiatique
Vingt et un après, le long-métrage ambitieux du fondateur de Starfix fait toujours figure d’objet non identifié au sein du paysage français. Si on peut à juste titre douter de l’impact du travail de Christophe Gans sur la génération actuelle, on ne peut en revanche ignorer l’aura particulière qu’il continue de dégager, y compris lorsqu’on le découvre pour la première fois. Féru transi du cinéma de genre, détaché de la politique des auteurs, Christophe Gans, à l’image de Jean Pierre Putters, appartient à une catégorie à part parmi la critique française, capable de choquer le chaland par des prises de position inédites pour l’époque.
Admirateur en particulier du film de sabre chinois ou des créations bis venues d’Italie et d’outre-Atlantique, Christophe Gans a puisé naturellement dans l’esthétique de ses amours de jeunesse pour façonner l’identité formelle de son art. Après une adaptation couronnée d’un certain succès, du manga Crying Freeman, le réalisateur allait proposer une autre manière d’entrevoir la superproduction à la française, bien différente des approches grotesques d’un Luc Besson, avec Le Pacte des loups !

Distribution pharaonique pour un dispositif royal
D’emblée, pour l’époque, le long-métrage frappa les esprits par les fastes de son casting ; en effet, Christophe Gans parvint à réunir plusieurs têtes de gondole majeures du cinéma français à commencer par Vincent Cassel, mais aussi des figures collaborant plutôt avec des auteurs renommés habituellement (on relève la présence de l’immense Jean Yanne ou d’Emilie Dequenne). En outre, le metteur en scène retrouva, pour cette occasion, l’interprète de son Crying Freeman, Mark Dacascos.
Aujourd’hui, le film n’a pas pratiquement pris une ride, mieux encore il recouvre presque une seconde jeunesse. Il faut avouer qu’au-delà des effets spectaculaires un poil maniérés qui ont enchanté les uns et agacé les autres à sa sortie, il propose un discours pertinent, un tantinet cynique, certes adressé parfois maladroitement. Avec cette fresque pseudo historique ancrée dans la révolution intellectuelle des Lumières, Christophe Gans interroge aussi bien sur les liens conflictuels unissant la province et le pouvoir absolu niché au cœur de la capitale que la lutte qui oppose vieilles croyances à la raison.

Confronté lui-même à ce jeu de dupes et d’influence, Grégoire de Fronsac répond avec malice et un soupçon d’arrogance quand, lors d’un dîner, il nargue ses hôtes en présentant un faux miracle de la nature, mais véritable supercherie conçue par l’homme. Si le chevalier respecte les traditions de son ami Mani ou encore la foi chrétienne toujours bien présente dans les esprits de ses contemporains, il réfute en revanche toute idée saugrenue de monstre de conte de fées pour se concentrer sur une menace bien réelle.
Un élève appliqué
La mise en scène du cinéaste, quant à elle, repose sur ces fameuses influences évoquées un peu plus haut, rendant un hommage insistant (parfois un brin trop) à ses idoles d’antan. En utilisant cet arrière-plan historique mêlé au célèbre mythe de la bête du Gévaudan, Christophe Gans déploie un dispositif éprouvé aussi bien par le western que par le film de sabre. Vous avez dit western ? Ici, la venue en terre inhospitalière, boueuse ou enneigée rappelle furieusement certaines œuvres de Sergio Corbucci, à commencer par Django ou encore Le Grand silence.
Baignés dans cet environnement hostile, les protagonistes croient mener la traque… à tort tandis que le danger se précise, rôde et que la créature digne du Razorback, approche à grands pas, inexorablement, suivie au plus près par la caméra du réalisateur. Dans ces moments clés, Christophe Gans a retenu la leçon d’un John McTiernan et de son Predator, de cette gestion des distances si délicate à manier. Certes, le cinéaste ne fait pas preuve de la même aisance naturelle que son homologue américain, mais il s’applique, rendant une copie très propre à défaut d’être parfaite.

Puis vient le temps de la fureur, de faire parler les armes et les poings. Gans se rappelle au bon souvenir des John Woo, Chang Cheh ou encore Liu Chia Liang. L’agilité et la grâce de Mark Dacascos n’ont alors rien à envier aux acteurs des productions chinoises. Christophe Gans s’amuse quitte à supplicier ses protagonistes, durant des joutes homériques… jusqu’au final opposant un faux sabreur manchot et un disciple formé au combat amérindien (ou plutôt hérité des arts martiaux asiatiques).
Ode sincère à tout un pan du cinéma, vibrante, touchante, parfois hésitante, Le Pacte des loups, malgré des défauts liés à un enthousiasme un poil trop envahissant, permit à son auteur de remporter son pari assez fou, celui de transmettre son amour à une autre forme du septième art, à ce moment-là fortement dépréciée. Si le long-métrage n’a pas étendu outre mesure son influence sur les productions hexagonales postérieures, il revendiquait en quelque sorte, l’attachement à cette culture populaire, désormais au centre de toutes les attentions.
Film français de Christophe Gans avec Samuel Le Bihan, Vincent Cassel, Monica Bellucci, Mark Dacascos, Jérémie Rénier. Durée 2h21. Sortie 2001.
François Verstraete
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