Deux cents ans avant les événements du Hobbit, Helm dirigeait le royaume du Rohan avec rigueur et équité, entouré de ses deux fils et de sa fille, la rebelle Héra. Hélas, la paix avec les tribus voisines fut rompue quand Helm tua l’un de leurs chefs, par accident. Dès lors, son héritier, Wulf se met en quête de se venger du Rohan. Helm et son peuple doivent alors se replier dans une antique forteresse, tandis que l’hiver approche. Le siège commence…

Force est de constater que 2024 est l’année du triomphe en salles pour le cinéma d’animation, du moins pour certains mastodontes tels que Vice-Versa 2, Vaiana 2 ou encore Moi, moche et Méchant 4. La manie des franchises a également touché ce secteur, pour le meilleur et surtout pour le pire. Et voilà que pour cette fin d’année, l’une des licences majeures de la pop culture connait une nouvelle adaptation, cette fois sous forme de film d’animation Comme pour refermer la boucle et prouver qu’à Hollywood (et ailleurs aussi), la boîte à idées s’est tarie depuis fort longtemps.

Après le succès des deux trilogies de Peter Jackson, Le Seigneur des Anneaux et l’univers de Tolkien sont de nouveau portés sur grand écran, en parallèle de la médiocre série proposée par Amazon Prime Video. Or, comme les récits principaux ont déjà été transposés, Warner doit désormais se contenter des miettes et décide par conséquent de raconter les origines du Gouffre de Helm, ce lieu propice à tous les exploits passés, présents ou à venir. Le public se remémore aisément de ce fort légendaire, théâtre de la bataille centrale du deuxième volet de la célèbre saga, Les Deux Tours, ainsi que du peuple qu’il protège, les fameux habitants du Rohan.

Les bases du film sont ainsi posées et une héroïne nommée Héra pour cette occasion, va émerger d’une ode désirée épique par le réalisateur Kenji Kamiyama. Vétéran du genre, le Nippon a travaillé sur des œuvres phares telles qu’Akira ou Jin-Roh et a piloté l’excellent Ghost in the Shell : Stand Alone Complex. Ne reste plus qu’à savoir si Le Seigneur des Anneaux : La Guerre des Rohirrim ne constitue pas une marche trop élevée pour lui, avec toutes les contraintes imposées supposées par la direction de Warner.

Chanson de geste et tragédie Shakespearienne

Il faut avouer, en effet, que la tâche s’avère ardue, passer derrière Peter Jackson relève de la gageure et s’attaquer à la mythologie de Tolkien par le biais de l’animation n’a pas toujours fédéré les admirateurs des romans (on se souvient ainsi de l’essai de Ralph Bakshi qui avait divisé la communauté). Voilà pourquoi, Kenji Kamiyama s’évertue de convaincre tout ce petit monde avec ses propres armes et une direction artistique empruntée à son expérience japonaise plutôt que de se plier à une esthétique purement occidentale. Le résultat serait vraiment réussi si l’animation ne pêchait pas régulièrement par sa rigidité.

En revanche, le cinéaste s’en sort avec les honneurs à chaque fois qu’il se concentre sur les relations entre ses protagonistes, caractérisant efficacement chacun d’entre eux. Il dresse de fait un portrait certes classique d’Héra, mais suffisamment ciselé pour transporter le spectateur, à défaut de l’impressionner. En outre, les dialogues sans exceller, fonctionnent et permettent de valoriser les interrogations politiques et de soutenir le dispositif shakespearien désiré par l’auteur… puisqu’en lieu et place d’une chanson de geste, annoncée pourtant par la voix off d’Eowyn, le long-métrage se pare davantage des atours d’une tragédie, qui verrait les certitudes d’Héra s’envoler au fil du temps.

Et c’est dans cette fable d’émancipation féminine que cette Guerre des Rohirrim trouve son point d’équilibre, en dépit de l’aura racoleuse qui s’en dégage. Certes, tous les stéréotypes sont présents et nuisent à cette démonstration. Toutefois, l’initiation d’Héra en vierge guerrière, sous la houlette de sa protectrice, surprend par sa noirceur, son ton désespéré et confère à l’arrivée toute la substance dramatique que l’on est en droit d’attendre, surtout que l’aspect épique est négligé…

Circulez, on a déjà tout vu

Les amoureux de Ghost in the Shell : Stand Alone Complex seront sans doute fort déçus par le piètre spectacle affiché ici, peut être davantage que les aficionados de Tolkien ou du travail de Peter Jackson. Ils se rappellent certainement de la conclusion des deux saisons de la série, de leur puissance d’évocation et du moment homérique offert durant le sacrifice des Tachikomas. Or, Kenji Kamiyama n’était point étranger à cette apothéose et on espérait secrètement qu’il réitérerait ce petit miracle.

Malheureusement, la frustration qui émane de l’ensemble présenté en devient plus grande quand les souvenirs de ces accomplissements rejaillissent. Kenji Kamiyama a-t-il été broyé par la machine hollywoodienne ou par le chaos général chez Warner, on l’ignore ? Quoi qu’il en soit, il a été touché par la maladie du siècle, celle qui ronge le septième art et la pop culture, à savoir la vague nostalgique et le fan service. Cette propension à la fainéantise malsaine exsude tellement à travers tous les pores du long-métrage, que même le plus ardent défenseur de la franchise est gagné par la nausée à l’arrivée.

La Guerre des Rohirrim se complaît dans la citation et le recyclage, y compris dans la mise en scène des affrontements. On retrouve pêle-mêle l’assaut des Mûmakil (oliphants), la harangue du roi (qui reprend presque mot pour mot celle de Théoden) ou l’arrivée des Rohirrim en sauveurs. En sus de sentir fortement le réchauffé, ces quelques instants ne bénéficient jamais d’une conceptualisation apte à émouvoir ou susciter quelques frissons.

On ressort éreintés d’une séance imprégnée par les regrets et par la lassitude envers un système qui corrompt tout ce qu’il touche. À force d’essorer chaque œuvre jusque l’épuisement et de les transformer en marque, l’industrie a fini par détruire le charme originel au nom du dieu dollar. Et les bonnes intentions de Kenji Kumiyama ne suffisent pas à préserver son film du naufrage en cours.

Film d’animation de Kenji Kamiyama avec les voix originales de Brian Cox, Gaia Wise, Miranda Otto. Durée 2h14. Sortie le 11 décembre 2024

François Verstraete

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