Envoyés il y a plusieurs milliers d’années protéger la terre des Déviants par une énigmatique entité, les Éternels, un mystérieux groupe doué de pouvoirs fabuleux, se sont mêlés à la population une fois leur mission achevée. Après la victoire des Avengers contre Thanos dans Avengers Endgame, les Déviants refont surface. Les Éternels se rassemblent une nouvelle fois pour défendre l’humanité.
Peut-on encore sauver le Marvel Cinematic Universe de la standardisation ? Voilà une question à laquelle il est délicat de répondre avec humilité. Si la franchise supervisée par Kevin Feige a perdu de sa superbe et de son intérêt au fil des épisodes, ce n’est pas seulement dû au respect des normes imposées par la production, mais plutôt au choix pas toujours judicieux du réalisateur en charge des différents longs-métrages. C’est pourquoi le projet Les Éternels suscitait une certaine curiosité, voire une véritable fascination, y compris auprès des cinéphiles. Propulser aux commandes Chloé Zhao, nouvelle coqueluche du septième art indépendant américain après Les Chansons que mes frères m’ont apprises et The Rider, avait de quoi intriguer n’importe quel observateur.
Certaines sources laisseraient d’ailleurs supposer que la réalisatrice aurait achevé le montage de Nomadland et des Éternels la même semaine. Nomadland récompensé plus tard bien sûr à Venise puis aux Oscars… dans tous les cas, le passage d’un tel talent derrière une œuvre du MCU (une première depuis le revers essuyé par Kenneth Brannagh sur Thor) permettrait de savoir si la machine de guerre made in Disney broierait un autre auteur ou si bien au contraire au-delà des contraintes, seul le metteur en scène en charge est responsable finalement de la réussite ou de l’échec de l’opus. Les Éternels et Chloé Zhao répondent de concert et de manière satisfaisante à cette épineuse interrogation.

Concession et préservation de l’identité
Certes, force est de constater que la réalisatrice a dû se soumettre à certaines exigences et restrictions : de l’usage de procédés illustratifs à l’opposé de son style en passant par un aspect mélodramatique maladroit jusqu’au final, exercice obligatoire qui ne révolutionne ni le genre et encore moins la marque MCU. Pourtant, si l’on fait abstraction de ces anicroches qui déprécient le panel d’ensemble, se dévoile un mariage réussi entre la forme de Chloé Zhao et la vision originelle de Jack Kirby apposée au comic-book. Résultat l’affection de la cinéaste pour les communautés et leur devenir épouse naturellement la puissance mythologique du scénariste de la Maison aux idées revenant au concept même du super-héros.
Beaucoup de spécialistes littéraires ont à juste titre comparé le principe du surhomme de comic book aux divinités et autres figures des panthéons d’antan. Quant à Superman, nul ne peut contester son essence prophétique. Lors du développement de leurs univers respectifs, DC et Marvel n’ont point hésité à intégrer de manière frontale ces diverses mythologies avec des personnages tels que Thor, Wonder Woman ou Hercule. Avec Les Éternels, Jack Kirby a poussé le syncrétisme encore plus loin, reprenant le caractère pathétique, mais également épique des histoires antiques en ajoutant un côté messianique indiscutable, hérité du travail de Siegel et Shuster sur Superman.

En adaptant ce pan de la galaxie Marvel méconnu d’un large public, Chloé Zhao parvient à insuffler une dynamique très distincte du reste des productions studio. Optant pour moins d’humour et de combats de remplissage, la cinéaste axe son récit sur une dimension sociale présentée sous la forme d’une tragédie grecque qui pointe aussi bien les exploits homériques de ses participants que les différentes intrigues politiques ou humaines qui les lient. Son but intégrer une communauté microcosmique à travers une plus importante, pour mieux marquer l’identité de ses divinités intemporelles. Chloé Zhao en profite pour perpétrer sa passion pour les grands espaces, aidée par une profondeur de champ et une photographie d’une qualité très supérieure à bon nombre d’œuvres de la franchise. Surtout, elle réussit à valoriser un casting pas toujours à propos et à faire ressortir les interactions chorales si chères au comic book (jusqu’à présent seuls le premier Avengers de Joss Whedon et le X-Men First class de Matthew Vaughn avaient pleinement satisfait à ce critère).
Même si Les Éternels souffrent de certains défauts redondants des longs-métrages estampillés MCU et que l’ambition de sa réalisatrice se heurte à des postures hasardeuses, on pardonnera volontiers à Chloé Zhao son incursion dans le genre, tant sa prise de risque se démarque vis-à-vis d’autres tentatives beaucoup plus lisses ou au contraire vulgaires. Les amateurs de spectacle décousu ou les fameux adeptes d’un cinéma adulte qui n’existe pas passeront leur chemin. Les Éternels sur de nombreux points se posent comme le meilleur film du MCU depuis le premier Avengers de Joss Whedon. Au point qu’il serait fort opportun de confier à Chloé Zhao la direction des X-Men…
Film américain de Chloé Zhao avec Gemma Chan, Angelina Jolie, Richard Madden, Salma Hayek. Durée 2h37. Sortie le 3 novembre 2021.
François Verstraete
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