On ne cessera jamais de clamer l’impact d’Anthony Mann sur le septième art, réalisateur talentueux qui réussit à briller dans une ère dominée par des hommes de la trempe de John Ford, Howard Hawks ou Joseph Mankiewicz. Anthony Mann se distingue de ses illustres confrères par sa propension à instiller davantage de cynisme dans ses long-métrages, à ignorer les règles de bienséance et à faire ressortir toute la cruauté d’un monde en perpétuelle évolution, mû par l’argent et la soif de pouvoir. Avec cette approche, il a notamment marqué l’Histoire du western, tout comme John Ford, filmant les grands espaces avec un lyrisme similaire.

Sa collaboration avec James Stewart, entamée à partir de Winchester 73’ aura illuminé le genre, le réalisateur présentant un visage très différent du comédien. Le gendre idéal devenait sous sa direction un individu généralement taciturne, parfois égoïste, toujours habité par une forme d’ambivalence morale. Et ce n’est pas leur cinquième coopération pour un western (et septième si l’on tient compte des mélodrames, Le Port des passions et Romance inachevée), à l’occasion de L’Homme de la plaine, qui dérogera à cette règle.

Discussion amère

Comme très souvent, Anthony Mann écorne en partie la légende de l’Ouest, les principes de l’honneur et les valeurs de charité chrétienne ont été supplantés par un système capitaliste avant l’heure. L’ombre des riches propriétaires terriens s’étend sur le pays et la poigne de fer de quelques magnats pressurise plusieurs enclaves, loin d’être indépendantes. Lockart, interprété par James Stewart, rencontre un puissant éleveur et se heurte à son fils, Dave, enfant gâté, enclin à porter des coups plutôt qu’à parlementer. Lockart est, quant à lui, motivé par une revanche qu’il juge légitime et une investigation de longue haleine, au sujet d’un trafic d’armes.

Une leçon grandiose de cinéma

La rivalité entre Dave et Lockart atteint son paroxysme durant une scène magnifiquement rythmée, avec en point d’orgue, une leçon de contrechamp et de hors champ. Dave, dans sa couardise, attaque Lockart de dos, qui riposte et le blesse accidentellement à la main. En représailles, Dave intime à ses compagnons de maintenir Lockart, pendant qu’il vise la main de son adversaire avec son révolver. La caméra s’oriente d’abord vers le geste de Dave pour bifurquer sur le visage de James Stewart. Le son du tir résonne tandis que James Stewart grimace de douleur.

Duel sur fond des grands espaces

Un moment d’une rare intensité, féroce, quasi christique dans la retranscription de la souffrance endurée par le protagoniste. Les effusions d’hémoglobine ne s’avèrent pas nécessaires, pour ressentir, par le biais de la suggestion, le désespoir du cow-boy malmené. Ces quelques secondes, interminables, prouvent que l’emploi d’artifices pétaradants est parfois inutile et nuit à l’émotion brute, primaire… d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans un effet miroir saisissant. La lâcheté de Dave s’oppose à la dignité de James Stewart, les deux ennemis séparés et rapprochés tous deux par l’impact d’une balle au même endroit. Pourtant, une once d’humanisme subsiste encore chez Anthony Mann (contrairement à Sam Peckinpah plus tard, dont il annonce l’arrivée imminente) ; le réalisateur espère toujours, en nous montrant les complices de Dave aider un Lockart affaibli sur son cheval !

Film américain d’Anthony Mann avec James Stewart, Arthur Kennedy, Cathy O’Donnel. Durée 1h43.1955

François Verstraete

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