Des messages publicitaires abondent avec la mention Merci Chuck, tandis que l’Apocalypse approche. Chuck, un homme ordinaire à la vie extraordinaire…
À tort ou à raison, Mike Flanagan appartient au cercle pas assez fermé des nouvelles coqueluches d’Hollywood, talent soi-disant en devenir du cinéma de genre. Certes, il ne démérite pas, mais l’ériger comme une référence incontournable s’avère nettement exagéré. Réputé surtout pour ses adaptations de Stephen King, le réalisateur se pose davantage en faiseur respectable qu’en auteur habile. Et les mauvaises langues critiqueront même son travail sur Jessie ou sur Stephen King’s Doctor Sleep, trop efficace pour être véritablement honnête.
Néanmoins, Mike Flanagan détient la formule gagnante, bien contemporaine, qui consiste à jouer avec les nerfs ou les émotions du public, approche artificielle à l’appui. Voilà pourquoi, ses transpositions des œuvres de Stephen King fonctionnent si bien, quitte à lasser. Visiblement, pour le moment, ce n’est pas près d’arriver et l’histoire d’amour avec l’écrivain du Maine continue, puisqu’il adapte un de ses courts récits, Life Of Chuck, typiquement formaté pour notre époque… et pour sa méthode racoleuse.
Nul n’est prophète
On le sait depuis longtemps, Stephen King brille quand il revêt son habit de prophète et tel Cassandre, se plaît à annoncer la fin du monde, attaquant au passage les institutions corrompues et les individus sans scrupules. Cette approche, on la retrouve notamment dans son sommet, Le Fléau ainsi que dans Dead Zone, qui ont connu chacun une version respective de qualité pour le petit et le grand écran (par David Cronenberg en personne pour Dead Zone). Ces réussites sont non seulement dues à la vision des hommes derrière la caméra, mais aussi à la teneur même de l’ouvrage d’origine, propice à une retranscription, dans sa forme et dans son propos.
Et d’une certaine manière, Mike Flanagan l’a bien saisi lorsqu’il se concentre sur ce drame en trois actes, réglé comme une horloge pour surprendre et jouer sur la corde sensible du public. S’il existe une certaine retenue quand le cinéaste expose une succession d’événements tragiques dans une première partie cryptique, c’est pour mieux amplifier un dispositif lyrique à la fois sophistiqué et pernicieux. À l’instar de son modèle en papier, le film repose sur une mécanique procédurale qui force de fait à aimer…
Voix-off malade
Bien entendu, on ne nie pas une certaine cohésion de l’ensemble, une fois tous les éléments assemblés, cohésion qui confère ce charme tant désiré, bien que factice. En revanche, Mike Flanagan aurait dû écarter le principe de la voix-off, tant il ne maîtrise pas cette technique, ô combien délicate. Ridley Scott l’a compris au moment d’accoucher de sa version longue pour Blade Runner, l’ôtant du montage final. Force est de constater, en effet, que la voix-off nuit totalement à la suggestion, à la sacro-sainte litote et participe à un exercice démonstratif horripilant.
Hormis Stanley Kubrick, peu de réalisateurs sont parvenus à en extraire l’intérêt. Ainsi, Kubrick dans Barry Lyndon l’employait non pas pour décrire l’action en cours, mais pour annoncer celles à venir. Tout le contraire de Mike Flanagan qui énumère les pensées de ses personnages et explique leur moindre geste pour mieux amplifier le mystère autour de son Apocalypse. Avec cette démarche, il ruine tous les efforts de ses interprètes et leur performance impeccable, de Tom Hiddleston à Mark Hammil.
Dansons avant l’Apocalypse
Fort heureusement, Mike Flanagan sauve son entreprise d’une standardisation putassière en articulant sa narration autour de scènes dansées d’une incroyable intensité. S’il n’échappe pas à la citation facile (les ombres de Stanley Donen ou de Robert Wise planent toujours), il parvient néanmoins à transmettre les sentiments de ses protagonistes avec davantage d’élégance et de sincérité que lors des différentes tirades. L’énergie dégagée à l’occasion de ces instants graciles amène à reconsidérer n’importe quel avis négatif.
Tout comme Tom Hiddleston, Mike Flanagan nous invite à intégrer son monde, à nous défaire des préjugés et à jouir du présent. Ou comment quelques échanges sur une piste improvisée injectent la fraîcheur nécessaire à une leçon de morale trop souvent indigeste et à un cours de métaphysique de comptoir. Quelques minutes bouleversantes et renversantes qui évitent un naufrage grossier pour un long-métrage qui mériterait meilleur traitement… si c’était possible !
Il faut avouer que le réalisateur n’exploite à l’arrivée qu’une composition paresseuse de Stephen King, somme de thématiques à la limite du Créationnisme, quelque peu insupportable. Néanmoins, on peut blâmer son incapacité à transcender un matériau brut et sommaire. Life Of Chuck véhicule, mais ne transporte pas.
Film américain de Mike Flanagan avec Tom Hiddleston, Mark Hammil, Chiweitel Ejiofor. Durée 1h51. Sortie le 11 juin 2025
François Verstraete
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