Les derniers jours de la vie de Maria Callas, immense chanteuse d’opéra retirée à Paris.
Si en cette période où tout s’accélère, les termes génie, légende, mythe, chef-d’œuvre sont devenus galvaudés et se mettent au service du sensationnel ou du référencement internet, ils conviennent heureusement encore à quelques figures illustres du passé. Et Maria Callas appartient à cette catégorie d’artistes inégalés, inégalables, merveilleuse cantatrice au destin brisé par la maladie. À l’instar de Caruso, elle aura profondément marqué l’Histoire de la musique lyrique par sa voix sans équivalent, au timbre à la fois harmonieux et puissant.
Un documentaire fort honnête signé Tom Wolf, Maria by La Callas, lui fut consacré en 2017 et c’est désormais Pablo Larrain, spécialiste des biopics qui s’intéresse à elle, en retraçant ses derniers jours à Paris, en 1977. Le cinéaste s’était déjà distingué en dressant le portrait de deux femmes exceptionnelles du vingtième siècle, à savoir Lady Di (Spencer en 2021) et Jackie Kennedy (Jackie en 2016), offrant au passage, des rôles à la mesure de leurs interprètes, Kristen Stewart et Natalie Portman.
Voilà pourquoi on attendait énormément de son travail dédié à l’autre compagne d’Aristote Onassis (Maria Callas et Jackie Kennedy ont en effet partagé le quotidien du célèbre et sulfureux armateur) et on espérait, de fait, une composition dans la veine de celles dont il a accouché par le passé. Dans cette optique, Pablo Larrain a exigé les services d’Angelina Jolie afin d’entrelacer son pouvoir d’attraction avec celui de son modèle. Une bonne idée ?
Au centre de l’attention
Pour beaucoup, le choix d’Angelina Jolie pouvait déconcerter, tant elle représente pour eux une icône glamour qui s’est fourvoyé dans des blockbusters sans consistance à de nombreuses reprises. Pourtant, la comédienne a su démontrer sa valeur, en décrochant un Oscar pour sa prestation dans Une vie volée et en brillant de mille feux dans le superbe mélodrame de Clint Eastwood, L’Échange. Ici, elle prouve sa capacité de changer de registre en captant l’attention, comme son alter ego et convainc par conséquent dans la peau de cette cantatrice déchue.
Elle rayonne tellement à l’écran que ses partenaires n’existent pas en sa présence ; à l’image de son personnage, elle revêt la parure de l’astre solaire autour duquel gravitent des satellites à l’importance variable. Du président Kennedy au fantasque Onassis, aucun ne présente des atours comparables à la protagoniste, quand le réalisateur la positionne au centre des débats. Sa caméra la suit à la trace et la dispose au cœur du cadre, avec une minutie géométrique à la limite de l’obsession, qu’elle se déplace fièrement dans les rues de Paris ou qu’elle songe dans son appartement, en écoutant des extraits de sa gloire d’antan.
Et c’est dans ces moments esthétiquement soignés que Pablo Larrain appréhende son sujet, avec ce talent qui a construit sa filmographie. Épuiser toutes les formes pour mieux comprendre, épouser un regard pour mieux montrer qualités et défauts, s’affranchir des clichés pour se conformer à l’authenticité. . On s’interroge alors pourquoi il s’écarte de cette démarche sincère au profit d’une quête de sens ampoulée, aux artifices grossiers.
À la recherche du temps perdu
Le metteur en scène ne souhaite qu’une seule chose, déployer un lent requiem durant lequel sa vedette court aussi bien après ses souvenirs que sa voix perdue. Il pourrait filmer sa terrible agonie avec la même sobriété dont il usait précédemment dans Jackie par exemple. Malheureusement, il n’en est rien puisqu’en guise de réflexion, il ne sert que quelques flashes-back et dialogues surlignant un discours que l’on devinerait sans peine. Les répétitions dans une salle de spectacle vide, les craintes du médecin local ou les doutes des domestiques n’émeuvent pas… mais agacent.
Maria ou La Callas se cherche et cherche une raison de vivre alors que l’organe qui la caractérise, qui l’identifie la quitte inexorablement. Et le public un poil exigeant désire en ces instants davantage d’implicite, de poésie sous-jacente à travers la cacophonie des concerts plutôt qu’un exposé pataud et forcé. La Madeleine de Proust n’opère jamais vraiment même si l’ambition ne fait pas défaut à l’auteur, toujours animé par une volonté immuable de séduire, à l’image d’un Onassis grinçant et attachant.
Vaine sophistication
Pablo Larrain imagine que sa narration alambiquée, léchée et articulée autour de la mémoire de son héroïne, avide d’accéder à la postérité, suffirait à justifier toute la lourdeur de l’ensemble. Cependant, hormis la séquence près de la Tour Eiffel, pendant laquelle Maria s’accorde avec un chœur de fortune constitué par figurants et passants, tout sonne faux et n’est que prétexte pour flatter l’égo d’un cinéaste en roue libre, qui a oublié ses fondamentaux. Et le pire survient à l’occasion de ce pseudo entretien et son journaliste fantôme.
Avec cette tentative d’introspection maladroite, le réalisateur réconcilie peut-être Maria avec elle-même avant sa mort, mais perd un peu plus ses soutiens de la première heure. Le vase de la discorde déborde avec cette faute de goût supplémentaire alors que l’on aimerait verser une larme et s’épancher sur le sort du personnage. La Callas et Maria ne se retrouvent jamais vraiment, excepté au moment de partager les ultimes minutes avec la foule, toujours avec cette ostentation racoleuse.
Il est évident que La Callas méritait mieux que ce long-métrage suffisant et sans saveur, bien que la photographie et Angelina Jolie le préservant du naufrage. On a connu Pablo Larrain plus inspiré dans ses intentions et plus habile dans son entreprise.
Film américain de Pablo Larrain avec Angelina Jolie, Pierfrancesco Favino, Alba Rohrwacher. Durée 2h03. Sortie le 5 février 2025
François Verstraete
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